Jasenovac & Sajmiste, évocation de la Shoah en Yougoslavie

J’approche déjà de la fin de mon séjour passionnant en Serbie et cet après-midi, dans une magnifique et froide fin de journée sur la rive du Danube, je me suis rendu au cimetière de Zemun, la partie austro-hongroise de Belgrade, de l’autre côté du fleuve Sava, qui a une partie juive. Je me suis recueilli devant le monument aux victimes du Nazisme et j’ai parcouru les tombes, principalement en allemand mais certaines aussi en serbe et en hongrois, et toutes en hébreu. On y retrouve très souvent un arbre, que j’imagine être une représentation de l’arbre de vie du Jardin d’Eden, de la Genèse. Un nom célèbre revient également souvent, celui de Herzl, comme le fondateur du Sionisme qui était un Juif Hongrois. 

Une visite émouvante dans un vieux cimetière qui témoigne de la riche histoire des Juifs d’Europe que l’on voudrait tant effacer ou oublier pour de sombres raisons politiques ou racistes. Mais tant que je vivrais, il y aura des foutus goys pour s’en souvenir et l’honorer.

Et pour souvent, hélas, en frémir…

J’étais en train de déambuler au milieu des tombes juives, lisant les noms et tentant de déterminer quelle langue était utilisée, en plus de l’hébreu. Soudain, mon regard est attiré sur la gauche vers des inscriptions à l’arrière d’une stèle, ce qui est curieux. Je m’approche et m’arrête net. Je viens de lire le nom « Jasenovac ». Je reste immobile, atterré pendant quelques secondes, tant ce nom évoque l’horreur. 

Jasenovac est tout simplement le premier camp d’extermination de la Shoah. Il est créé en août 1941, à l’époque ou la Shoah se déroule principalement par les balles des Einzatzgruppen en URSS (voir à ce sujet les travaux du Père Desbois). Jasenovac est le premier espace clos dont le but est l’extermination. Les camps nazis de Pologne ouvriront plus tard. Il est aussi le seul camp d’extermination qui n’a jamais été géré par les Nazis allemands. C’est un camp géré par les Oustachis Croates d’Ante Pavelic, dictateur fasciste de l’Etat Indépendant de Croatie qui avait commandité l’assassinat du Roi Alexandre de Yougoslavie à Marseille en 1934 dans lequel le ministre français Louis Barthou perd également la vie. 

Vue du camp de Jasenovac

Shimon Peres, en 2010 définira le camp de Jasenovac ainsi: « Ce camp se distingue des autres à plus d’un titre. Tout d’abord parce que les victimes n’étaient pas nécessairement uniquement juives… Et il se distingue aussi par la façon dont on y tuait les gens, à l’aide de marteaux, de couteaux, de pierres. » 

En effet, le principal groupe de victimes des Oustachis est la population Serbe. Sur les 85 000 morts à Jasenovac, 50 000 sont serbes, 13 000 juifs, 12 000 Croates et 10 000 Tziganes assassinés dans des conditions effroyables: décapitations à la scie, concours d’égorgement à l’aide du « Sbrojsek » (Coupe-Serbe, littéralement) un gant équipé d’une lame, coups de marteau, crémations vives et autres raffinements de barbarie difficilement soutenables.

Voir les principaux camps, avec la localisation de Jasenovac et de Samijste (Lien externe)

Les gardes dépassaient tout ce qu’on peut imaginer en cruauté. Le commandant de Jasenovac, le Général Vjekoslav Luburić était considéré par les Allemands comme un sadique extrème et un malade mental, ce qui en dit long pour des gens qui sont allés chercher le commandant de Dachau dans un asile psychiatrique. Le garde Petar Brzica revendiquera avoir égorgé en une seule nuit près de 1300 serbes et juifs dans un « concours ». Il n’a d’ailleurs jamais été retrouvé, après avoir été repéré aux USA dans les années 70.

Vous comprenez maintenant pourquoi, pourtant habitué à me confronter à la difficile mémoire de la Shoah, je suis resté figé pendant quelques secondes en lisant ce nom maudit, sur l’arrière d’une stèle, sans doute pour donner une forme de sépulture à la mémoire de ces personnes disparues dans cette bouche ouverte sur l’Enfer qu’était Jasenovac. Quant au site de la 1ère des victimes inscrites sur cette stèle, Stara Gradiska, il n’est qu’une confirmation de l’horreur avec près de 75 000 personnes assassinées dans cette ancienne forteresse à une trentaine de kilomètres de Jasenovac.

La foire internationale de Belgrade en 1937

Quelques jours plus tard, avec le concours de mon ami Slavoljub, autant passionné d’histoire que moi, et sur les indications de Cyrille de Lattre, membre de « Nations pour Israël, je me suis rendu sur le site du camp de concentration de Sajmište, littéralement « la foire », à Zemun, sur la rive ouest du fleuve Sava, face à Belgrade.

Ce site avait été créé en 1937 comme lieu de la foire internationale de Belgrade, pour attirer le commerce international et avait comme élément central une tour de télécommunications utilisée par l’entreprise néerlandaise Philips pour diffuser les premiers programmes de télévision en Europe.

Après la conquête allemande de 1941, les Nazis démembrent la Yougoslavie, en donnent une partie à l’Etat Indépendant de Croatie qui se distinguera par sa barbarie, une partie à l’Italie et réduisent la Serbie, très amputée, à un Etat fantoche dirigé par la marionnette locale Milan Nedic, le Pétain serbe. Dans les faits, l’administration est dirigée par le SS-Gruppenfuhrer Harald Turner, commandant de l’Einzatzgruppen « Serbien ». Après avoir envisagé de créer un ghetto juif intramuros de Belgrade, il décide d’utiliser les installations de la foire de Belgrade qui est très facilement contrôlable et qui n’est pas loin de la gare centrale, favorisant les déportations ou « l’accueil » de déportés. Le 28 octobre 1941, le camp est ouvert et, très rapidement, les exécutions surviennent. 500 hommes juifs sont exécutés par balles avant le 11 novembre 1941. Fin 1941-début 1942, 7000 Juifs, femmes, enfants et vieillards sont internés, avec 500 hommes supplémentaires et près de 300 Roms. L’hiver 1941-1942 est très rude et beaucoup meurent de froid dans les conditions très difficiles où ils sont internés.

Hitler, Ante Pavelic, chef des Oustachis (centre) et Goering au Berghof, Juin 1941

En Mars 1942, Harald Turner informe le commandant du camp, Herbert Andorfer, qu’il fait venir un camion à gaz, comme ceux de Pologne. Herbert Andorfer, pourtant officier SS, a noué des liens d’amitié avec ses prisonniers juifs et demande à être relevé de ses fonctions pour ne pas être obligé de les assassiner mais sa demande est rejetée.
Il décide alors d’inventer un nouveau camp fictif qu’il annonce aux prisonniers comme étant un camp très bien équipé et très confortable et que les volontaires doivent s’enregistrer auprès des ses services. Il n’a pas de mal à recueillir des volontaires tant les conditions à Sajmište sont terribles. Par groupes d’entre 50 et 80, ils montent dans le camion, hermétiquement fermé derrière eux. Le camion, suivi par Andorfer et son adjoint, traverse Belgrade et s’éloigne de la ville vers le champ de tir d’Avala, où une célèbre tour surplombant Belgrade se tient aujourd’hui. Dès qu’ils sont hors de vue, les chauffeurs arrêtent le camion et redirigent les gaz d’échappement vers l’intérieur, asphyxiant les passagers qui sont ensuite enterrés dans des fosses communes. Les 7 serbes chargés de décharger les corps et de les enterrer seront abattus par les allemands à la fin des opérations mais l’un d’entre eux, Vladimir Milutinović, survit et témoignera. Selon lui, ils ont creusé entre 80 et 82 fosses communes contenant chacune 100 corps. Les 500 patients et membres du personnel de l’Hopital Juif de Belgrade seront également gazés par ce moyen.

C-dessous: Site du Camp de Concentration de Sajmiste, Zemun, Serbie

Deux mois plus tard, en Mai 1942, la population juive du camp ayant été éliminée, le camp est renommé « Anhaltelager Semlin » (camp de concentration de Zemun) et sert à recevoir des Juifs d’Italie en septembre 1943 mais surtout des Serbes de Croatie et de Bosnie déportés par les Oustachis, des soldats Chetniks du Général Mihailovic et partisans communistes de Tito, ainsi que des résistants grecs et albanais. Les conditions sont tellement effroyables que le camp est comparé à celui, terriblement sinistre de Jasenovac dont j’ai parlé la semaine dernière. Plus de 32 000 Serbes passeront au Camp de Zemun et un tiers au moins y laisseront leur vie.

En novembre 1943, l’Aktion 1005 d’effacement des traces de crimes commence à Belgrade sous l’égide personnelle de l’infâme Paul Blobel qui ordonne l’exhumation et la crémation des corps des victimes. 100 prisonniers Serbes et Juifs y sont contraints, avant d’être exécutés à leur tour, sauf 3 qui parviennent à s’enfuir et à témoigner.

Bombardement de Belgrade par l’USAAF, 17 avril 1944

Le camp est bombardé par l’aviation alliée lors du bombardement aérien de Belgrade le jour de Pâques 1944, un drame fomenté par les Communistes de Tito pour obtenir un maximum de victimes dans la population civile et un ralliement de la population aux « libérateurs » communistes. Les Alliés tombent dans le panneau et déversent 1500 tonnes de bombes sur Belgrade, faisant 1200 morts, 5000 blessés et seulement 18 morts chez les militaires allemands. 100 prisonniers du camp sont tués dans l’opération. Le camp ferme définitivement en Juillet 1944, après avoir détenu autour de 50 000 personnes et en avoir assassiné près de la moitié.

Les Communistes de Tito ne commémoreront pas les victimes juives du camp avant la fin des années 80 et il faudra une tentative croate de révisionnisme dans les années 90, où les Serbes ont été accusés de diriger le camp à la place des Allemands pour que la mémoire du camp soit remise en avant, notamment par la défense véhémente des Serbes par les historiens et la communauté juive de Belgrade.

Sur le site, désormais une zone pauvre et presque en ruines, ou quelques installations sportives maintiennent une vie quotidienne, quelques stèles rendent hommage aux victimes et un monument imposant se tient sur la rive de la Sava.

Mémorial aux victimes du fascisme, sur le site du Camp de Samijste, Zemun, Serbie

Il s’avère hélas difficile de faire un bilan exhaustif des victimes du Nazisme et du Fascisme Croate. Les Allemands se sont comportés en Yougoslavie avec une sauvagerie dépassée seulement par les Oustachis, d’une barbarie sans égale et les massacres des non-juifs n’ont pas été aussi précisément répertoriés que la Shoah. De plus, le régime de Tito, rompu aux méthodes de propagande communiste qui surévaluaient grossièrement et systématiquement les chiffres des victimes de ses ennemis, qu’ils soient fascistes ou Alliés (exemple du bilan du bombardement de Dresde), a brouillé encore davantage la vision des choses. Les Communistes parlaient, après guerre de 1 700 000 victimes pour l’ensemble de la Yougoslavie. Des travaux plus récents parlent d’environ 840 000 personnes réparties en 550 000 Serbes, 90 000 Bosniaques, 60 000 Juifs, 50 000 Monténégrins, 40 000 Tziganes, 30 000 Slovènes et 20 000 Croates, sans tenir compte des victimes militaires ou des victimes des bombardements aériens allemands ou alliés. Le chiffre retenu par les autorités serbes, concernant les seules victimes serbes est lui de 700 000 personnes.

Sans excuser ou justifier en aucune manière les crimes commis par les paramilitaires serbes avec le soutien de la Yougoslavie, il y a un peu plus de 20 ans lors de l’effondrement de la République Fédérative de Yougoslavie, peut-être faut-il prendre en compte ce bilan atroce des Oustachis et leurs soutiens, notamment la 13ème Division SS de Montagne Handschar, composée de musulmans bosniaques adoubés par le Mufti de Jérusalem et dont le chef historique des Musulmans de Bosnie, Aljia Izetbegovic était un sympathisant, pour expliquer que, lorsque la Croatie et la Bosnie réclament à nouveau son indépendance en 1991, les Serbes craignent que ça ne recommence, s’arment pour empêcher un nouveau nettoyage ethnique des Serbes de Croatie et de Bosnie et même prennent les devants avec l’idée d’un sérieux compte à régler.

Pug

 

 

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