Repentance nationale

Repentance. Nom féminin issu de « de se repentir » qui signifie, selon le Larousse: « regret douloureux de ses péchés ». Aimant bien comparer, je regarde la définition anglaise, dans le dictionnaire Longman d’anglais contemporain, qui dit: « State of being sorry for something you have done », traduction: l’état d’être désolé pour quelque chose qu’on a fait.

Bien sûr, comme l’indique la définition du Larousse, le nom « repentance » contient une notion très religieuse. Dire à son patron, pour une erreur professionnelle: « Patron, je me repens d’avoir fait tomber une palette de cartons de vin de Bordeaux » pourrait vite vous mener à la médecine du travail pour soupçon de Burn-Out. La définition anglaise est moins religieuse, puisqu’il n’y a pas la notion de péchés et on utilisera plus couramment le terme, notamment par son opposé. Quelqu’un qui persiste dans une attitude jugée mauvaise, même au travail, sera assez facilement qualifié d’ « unrepentant ». Pour sourire un peu, quand j’ai cherché « repentance » sur le Larousse, le résultat est arrivé avec une publicité pour de la lingerie féminine, menant au péché de convoitise, paradoxe que j’ai trouvé très drôle!

Les nationalistes ou les patriotes un peu teigneux utilisent souvent ce terme de repentance dans le débat sur l’Histoire de France, accusant leurs opposants de vouloir voir la France contrite dans une repentance flagellante à propos de la colonisation, de Vichy, de la Guerre d’Algérie, etc. Ils dénoncent cette pression gauchiste à la repentance pour le passé de la France et refusent vertement cette notion qui s’apparente pour eux à une insupportable faiblesse qu’on exigerait de notre Grande Nation et une soumission de la Grande Civilisation Française à ces curés marxistes et progressistes inquisiteurs et moralisateurs. Donc quand on émet l’idée que la France puisse être responsable d’un drame, nombreux sont les défenseurs de l’honneur de la France a protester et à trouver une pirouette sémantique ou légitimiste pour dire que l’honneur de La France avec un grand F n’est pas mis en cause. La France ne peut pas être mise en cause. La France est au-dessus de tout ça. L’Etat français, oui (et encore…), les français, oui (et encore…) et puis, si jamais on insiste trop, on se voit rétorquer qu’on n’était pas nés donc qu’on ne peut être tenus pour responsables. Mais pas La France. En parenthèse, pour répondre à ce dernier argument, je répondrais que j’étais né au moment de l’affaire du sang contaminé où des ministres et fonctionnaires de l’Etat sont mis en cause mais que je ne m’en sens pas responsable pour autant mais chacun sa vision des choses.

En fait, je pense que tout ce débat ne voit pas les vrais enjeux sous leur vrai jour. Les curés progressistes de gauche n’ont aucune envie de nous voir nous flageller religieusement pour les péchés de la nation! Cette notion est même totalement étrangère à leur conception de l’existence. N’ayant que mépris pour le fait religieux, ce ne sont pas eu qui attendent qu’on aille à confesse pour la Shoah ou l’Algérie. Ce n’est pas du tout leur objectif. Ils ne veulent pas qu’on « regrette nos péchés nationaux » au contraire. Ils veulent simplement prouver que l’Occident, dont la France, ne peut pas se draper dans une supériorité morale par rapport aux grands totalitarismes et aux grands crimes de ce siècle. Regardez Jean-Luc Mélenchon ou l’extrême-gauche quand on leur parle des 100 millions de morts du communisme: ils répondent systématiquement en parlant des « millions de morts du capitalisme ».

Ossements de victimes des Khmers Rouges, au Cambodge.

Si l’on dit « crime contre l’humanité au Cambodge », on entend toujours, pas loin derrière « crime contre l’humanité de la traite négrière par les Européens » (qui exclut toujours et bien habilement la traite négrière par les Arabo-Musulmans qui est pourtant beaucoup plus longue et « génocidaire » avec la stérilisation des esclaves). Bref, ils ne veulent pas qu’on se repente, ils veulent qu’on considère que les crimes de leurs idéologies sont « kif-kif bourricot » avec « les nôtres », en retirant toute notion de temps, de contexte, d’époque et de mentalité d’époque. La Chine communiste a réduit son peuple en esclavage au 20ème siècle et en 20 ans. « Oui mais les Européens capitalistes ont réduit les africains en esclavage au XVIIème siècle et sur 200 ans! » Evidemment, la comparaison est tout à fait pertinente, n’est-ce pas? (Ironie).

Et justement, à vouloir refuser l’infamie nationale de la « repentance », on tombe complètement dans leur piège. C’est de la stratégie militaire. Ne pouvant pas gagner en argumentation conventionnelle, ils nous attirent sur leur terrain où nous attend leur embuscade sémantique et contextuelle, avec leurs simplismes et leurs torsions des notions. Par exemple, là ou nous parlons de déportations dans des goulags, d’exécutions arbitraires encadrées par le pouvoir en place et justifiés par l’idéologie communiste, Mélenchon parle d’accidents du travail par méconnaissance des risques industriels en pleine mutation de société et de mode de production appelée « révolution industrielle » sans aucun cadre légal ni idéologie les soutenant. Ces méthodes de torsion de l’histoire et des différentes notions culturelles, juridiques, religieuses, etc, sont également à l’oeuvre sur le conflit israélo-arabe avec ce postulat simple: la supériorité morale qu’Israël revendique par rapport au nationalisme arabe totalitaire et terroriste ne tient pas parce qu’Israël aussi commet des crimes.
Pourtant, quand on regarde de plus près la notion de « repentance », on s’aperçoit que ce n’est pas une mauvaise chose et que c’est très loin d’être l’insupportable faiblesse morale que les nationalistes rejettent. Bien au contraire en fait. Dans la Bible, Dieu lui-même se repent et envisage de se repentir. Par exemple, dans le Livre du prophète Jonas, chapitre 3 versets 9 et 10:
« Qui sait? Dieu reviendra et se repentira, et reviendra de l’ardeur de sa colère, et nous ne périrons pas.
Et Dieu vit leurs œuvres, qu’ils revenaient de leur mauvaise voie; et Dieu se repentit du mal qu’il avait parle de leur faire, et il ne le fit pas. »

Jonas rejeté par la baleine, par Gustave Doré

Histoire de ne pas être encore accusé de manipuler la Bible avec des traductions chrétiennes, je suis allé sur le site de Chabad, lire le même passage avec les commentaires de Rashi. La traduction anglaise sur ce site, ce n’est pas le verbe « to repent » qui est utilisé mais le verbe « to relent ». Dans le Longman, le verbe « to relent » signifie « to change your attitude and become less severe or cruel towards someone », traduction « de changer son attitude et de devenir moins sévère ou cruel envers quelqu’un. » Mais le commentaire de Rashi du verset 9 affirme la notion de repentance: « and God will relent: He will think about the evil to repent of it. », Il pensera au mal pour s’en repentir. On s’aperçoit que les traducteurs français ont traduit cette notion par deux verbes au lieu d’un: « reviendra et se repentira »

C’est très intéressant et ça rajoute des notions à la définition du Larousse de la repentance. Là ou le Larousse parle de « regret douloureux de ses péchés », la définition biblique indique un changement d’attitude. Dans ce passage, Dieu « se repent » de quelque chose qu’il n’a pas encore fait. C’est donc incohérent avec la définition du Larousse. La repentance biblique, c’est un changement d’attitude, ce qui est confirmé par des traductions contemporaines de la Bible qui ont supprimé le verbe « se repentir » pour le remplacer par « changer d’attitude ». De plus, on voit mal Dieu être d’une consternante faiblesse morale en se repentant…
Evidemment, pour pouvoir changer d’attitude, il faut faire un bilan sur sur ses actions passées et en tirer des leçons pour adopter une attitude différente. Et présentée comme cela, la notion sort immédiatement du cadre moral ou religieux de culpabilité par rapport à des péchés nationaux qui n’ont aucun sens. Cette « repentance » là se pratique en fait dans l’armée, ça s’appelle le retour d’expérience ou RETEX, pour tirer des leçons des erreurs commises, dans les entreprises, dans les clubs sportifs ou l’industrie, comme l’aviation ou chaque accident fait l’objet d’une enquête technique détaillée chargée de faire des propositions d’améliorations à l’industrie et au monde aéronautique. Par exemple, c’est après le crash de Tenerife de 1974 qu’on a imposé une phraséologie anglaise précise pour que, partout dans le monde ou presque, les équipages et personnels au sol se comprennent et utilisent les mêmes notions dans le même sens. On a donc fait « changer d’attitude » l’ensemble des professionnels de l’aviation qui, au sens biblique, se sont « repentit » de ce qu’ils faisaient par le passé.
C’est donc une notion positive, courageuse et porteuse d’amélioration pour l’avenir et pas du tout la flagellation morale culpabilisante d’esprits faibles que certains craignent dans les rangs patriotes et nationalistes.

L’unique photographie de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942

Donc la véritable question du Vel d’Hiv n’est pas de savoir si la France est responsable ou pas ni surtout d’en rester là ni de se morfondre dans une flagellation morbide pour les « péchés de la France » (ce qui, pour le christianisme, est un non sens total puisque la seule responsabilité morale est individuelle)
La question fondamentale est de savoir si, en effet, la France s’est repentie au sens pragmatique évoqué ci-dessus, c’est à dire a fait un bilan de ce qui s’est passé et en a tiré des leçons pour changer d’attitude. Traduction encore plus simple: la France s’est-elle assurée que, dans un cas et un contexte similaire, l’issue serait différente?

Et là, on quitte totalement les questions mystiques et quasi-religieuses de l’identité de la Patrie et de la personnification morale de la Nation. On est dans le concret: Aujourd’hui, en 2017, est-on certain, par des dispositions légales et réglementaires que l’administration française, les services de l’Etat et ses fonctionnaires, agirait différemment? Par exemple par une meilleure séparation et équilibres des pouvoirs, même en interne des services, pour que ceux qui ne sont moralement pas d’accord aient un pouvoir légitime de s’y opposer. Ou par un droit légal à l’objection de conscience pour des motifs philosophiques ou religieux sans préjudice sur la carrière et l’avancement? Ou encore une meilleure transparence envers la presse pour que la population soit immédiatement informée des événements par des journalistes indépendants et pas par les chargés de com des ministères?
Bref, comment est-on sûr, en 2017, que l’administration de l’Etat n’a plus les pleins pouvoirs pour faire ça ou des choses similaires sans opposition? Comment est-on sûr que la France libre, grande, et honorable que nous aimons serve son peuple et sa nation et ne puisse pas à nouveau se faire asservir par une administration qui exécute le bon plaisir de ses maîtres, à moins que ça ne soit déjà le cas?
Voilà une vraie question politique qui devrait occuper les français au lieu de perdre leur temps avec des débats secondaires!
Pug

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