Réflexions sur le nucléaire iranien

En y réfléchissant, il y a d’autres aspects à la question du nucléaire iranien. Le débat ne peut se limiter à leur seule capacité à se doter de munitions nucléaires.

Pour avoir une arme atomique opérationnelle, il ne suffit pas de savoir construire des centrales ou même de maîtriser l’atome. Il faut avoir le vecteur. Une bombe atomique sans moyen de la délivrer sur cible, c’est comme avoir de la poudre à canon mais n’avoir qu’un arc et des flèches comme arme. Avec un peu d’esbrouf, ça peut faire peur aux impressionnables mais c’est presque inoffensif et surtout plus dangereux pour soi que pour ceux d’en face.

Les Iraniens ont une aviation obsolète qu’ils n’arrivent pas à moderniser. Leur expérience militaire symétrique, c’est à dire face à une force équivalente à la leur remonte aux années 1980 lorsqu’ils affrontaient l’Irak de Saddam Hussein qui, déjà en 1991, n’a pas pesé lourd face à l’US Air Force et à la coalition de Desert Storm. Difficile d’évaluer, sans connaissances profondes, leurs doctrines d’emploi mais chacun sait que la théorie militaire vaut ce qu’elle vaut en temps de paix et survit rarement aux conflits et également que l’expérience des uns ne profite pas aux autres. Il ne suffit pas d’être un observateur attentif des conflits et méthodes modernes pour en tirer des leçons, il faut les expérimenter, les « user » au combat, se planter, recommencer, affiner, etc. Et ce ne sont pas les quelques sorties de Phantom II contre Daesh qui changent quoique ce soit.

Grumman F-14 Tomcat, l'avion de Tom Cruise dans

Grumman F-14 Tomcat, l’avion de Tom Cruise dans « Top Gun » aux couleurs de l’Islamic Republic of Iran Air Force (IRIAF)

Parlant d’avions, leurs meilleurs appareils sont les F-4 Phantom II et les F-14 Tomcat achetés aux USA dans les années 70, déjà en service dans les années 80 contre l’Irak, excellentissimes avions pour leur époque mais qui sont totalement surclassés et ne sont pas du tout à la hauteur d’une guerre moderne hautement technologique. Les avions et les moteurs ont sans doute dépassé depuis belle lurette leur potentiel de vol et la maintenance ne peut se faire qu’avec des stocks de pièces détachées datant d’avant 1979 ou de cannibalisme sur d’autres avions en bout de course ou encore production locale à la qualité au minimum sujette à caution. Ils ne peuvent presque rien acheter comme matériel neuf et moderne et sont contraints de s’appuyer sur leur propre industrie très peu avancée en la matière et sur des copies de ce qu’ils connaissent. Ils essaient bien de faire des coups de com sur telle ou telle « innovation géniale » de leur industrie aéronautique mais ils réussissent surtout à se faire bidonner de rire les observateurs extérieurs. Leur dernier spectacle comique du genre, sur le Qaher 313 était d’un comique désopilant! L’avion était vaguement inspiré du F-35 américain, le cockpit était plus simple que celui d’une Fiat 500 et le pilote d’essai installé aux commandes ressemblait à un pilote de kart sur sa tondeuse!

 

Vue du cockpit

Vue du cockpit « light » du Qaher F-313 iranien lors de sa présentation officielle, avec le pilote sur son « kart » et ses genoux qui dépassent, le siège éjectable qui doit avoir la puissance d’un cric et le tableau de bord avec la plomberie visible…

Déjà, il est même permis de penser que le cinéma qu’il nous font sur le nucléaire est peut-être à peu près du même niveau que leur Qaher 313: beaucoup d’esbrouf pour rien et un niveau technique très bas mais un culot incroyable.

Mais surtout, on peut constater que même s’ils obtiennent une arme nucléaire opérationnelle et fiable, ils sont encore loin d’avoir le vecteur opérationnel pertinent pour s’en servir ou même menacer de s’en servir. Leurs avions sont obsolètes ou comiques et les missiles balistiques terrestres posent un certain nombre de problèmes. Les missiles terrestres nécessitent des bases de lancement importantes (plateau d’Albion en France jusqu’à son abandon) qui doivent être protégées et défendues et qui sont évidemment les premières cibles d’un ennemi potentiel, par raid aérien, sabotage, espionnage, etc. L’importance d’un complexe de silos de missiles capables de frapper n’importe qui est aussi sa plus grande vulnérabilité. Les technologies modernes de renseignement et d’interception de missiles rendraient de telles bases inutiles, à part pour faire peur aux impressionnables. Mais bien identifiées, espionnées et même infiltrées, ces bases sont affreusement vulnérables, tout autant que des bases aériennes s’ils arrivaient à obtenir ou développer un avion vecteur nucléaire.

Le SNLE français

Le SNLE français « Le Triomphant »

Reste le vecteur sous-marin. Ne tournons pas autour du pot, allons à l’essentiel. Si l’Iran veut réellement être une puissance nucléaire capable de se faire respecter sur la scène internationale, il lui faut des Sous-Marins Nucléaires Lanceurs d’Engins, (SNLE dans la Marine française) capable de croiser en profondeur pendant plusieurs mois et de se positionner à n’importe quel endroit du monde. Les sous-marins sont le seul vecteur insaisissable par un ennemi. Malgré toute la technologie existante, même l’US Navy ne peut pas surveiller l’ensemble des mers du globe pour traquer des sous-marins lanceurs d’engins. Il faut les suivre un par un, avec un déploiement de forces important, très bien illustré dans « A la poursuite d’Octobre Rouge ». Si les Iraniens veulent réellement être pris au sérieux sur la question, il leur faut une flotte de sous-marins lanceurs de missiles nucléaires. Or, à ce jour, la flotte sous-marine iranienne est composée d’une poignée de sous-marins conventionnels à propulsion diesel de classe Kilo soviétique datant des années 80, incapables de tirer des missiles balistiques nucléaires et à autonomie limitée, ainsi que d’une flopée de sous-marins de poche encore plus inutile pour l’arme nucléaire. De plus, l’Iran est une nation continentale, au sens stratégique. Comme l’Allemagne, la France et la Russie et à la différence des USA ou du Royaume-Uni, c’est une nation de terrestres qui protège ses côtes, pas une nation de « projection » qui aurait la doctrine navale d’une nation qui combat principalement en mer ou à l’étranger. Cette petite différence de mentalité stratégique a son importance.

Il y a encore de nombreuses étapes à franchir pour qu’ils disposent d’un système d’arme nucléaire opérationnel, rodé et fiable et chaque étape est très vulnérable. Et même s’ils parvenaient à fabriquer une arme nucléaire, nous serions en terrain connu. Nous entrerions avec eux dans une guerre froide, du même type que celui contre l’URSS pendant 40 ans, faite d’espionnage, sabotage, de menaces et de détentes, bref, un grand jeu de barbichette stratégique que nous, occidentaux connaissons très bien et pratiquons depuis longtemps. Devenir une puissance militaire nucléaire ferait entrer l’Iran, en effet, dans la cour des grands et justement, c’est la cour des grands et là, on ne joue plus.

Le président américain Ronald Reagan,

Le président américain Ronald Reagan, « tombeur » de l’URSS par la course économique et technologique.

Dès le moment où une arme nucléaire iranienne existe, au lieu d’être vu comme le sale garnement qui terrorise une classe, l’Iran sera traité comme un adulte et eux qui sont tout de même habitués à nos relents de paternalisme colonialiste pourraient trouver bizarre de se retrouver face à des puissances nucléaires qui ne plaisantent plus du tout et sont soudain beaucoup plus durs en affaires,y compris dans le domaine économique ou l’Iran pourrait bien se faire ravager par l’économie occidentale, de façon légitime et/ou occulte, sur un modèle proche de la surenchère économique et technologique menée par les USA contre l’URSS. Et pas plus que l’arme nucléaire n’a sanctifié le régime soviétique, l’arme nucléaire ne sanctifiera pas le régime des Mollahs. A trop vouloir boxer en poids lourds, le poids plume pourrait se faire rosser d’une façon à laquelle il ne s’attend pas et il y a une possibilité, non négligeable, que cette affaire de nucléaire iranien soit de début de la fin pour le régime de Khamenei et ses potes enturbannés, ce qui serait évidemment une excellente chose pour Israël, avec la possibilité de renouer avec la Perse des liens distendus depuis la montée en puissance des Ayatollah.

Ce ne sont, certes, que des réflexions très théoriques et de quelqu’un qui ne connait pas le dossier en profondeur mais ce revers possible de la médaille nucléaire iranienne n’est pas encore perçu par beaucoup.

Je n’ai donc pas forcément, dans l’immédiat, une peur panique du nucléaire iranien. Ce qui m’inquiète beaucoup plus, ce sont les 150 milliards de dollars que les Iraniens vont récupérer et grâce auxquels ils pourront renforcer le régime, monter de niveau stratégique petit à petit, en entretenant un savant chaos d’insécurité planétaire, par le financement du terrorisme et des activités subversives un peu partout pour masquer leur progression.

Pug

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