Pilote…  Une histoire de la passion de Pug

 

Il est difficile, peut-être, pour des gens qui ne connaissent pas la passion des choses de l’air, de comprendre l’émotion qui m’a saisi devant la photo du petit Isidore Szmidt en tenue d’aviateur, visiblement passionné, lui aussi par les machines volantes et les héros qui les pilotaient.

Pour permettre à ceux qui suivent ce petit projet d’un vol en mémoire d’Isidore, de mieux comprendre pourquoi cela me tient à coeur et pourquoi je m’identifie à lui, je me dévoile encore un peu plus à coeur ouvert dans ce texte, écrit il y a déjà quelques années, qui raconte pourquoi j’ai tant souhaiter voler et piloter. J’imagine, avec un peu d’émotion, qu’Isidore aurait pu, à son époque, dans son propre contexte et s’il avait vécu, écrire un jour un texte similaire. 

 

new29 décembre 2009, encore une matinée humide et froide, ça fait plus d’un mois que ça dure. Je jette un œil mauvais vers le ciel, maugréant dans la barbe que je n’ai pas contre le temps de cochon dont nous gratifie cette fin d’année. J’ai déjà du repousser l’échéance deux fois et je n’ai franchement pas envie de repousser à nouveau, si près du but et si près du symbole.

Je suis déjà à l’aéro-club, il est 8h30 du matin. Mon examen pratique pour l’obtention du brevet de pilote privé est prévu à partir de 11h. Hier soir, après une étude approfondie des prévisions météo, j’ai contacté l’examinateur de vol qui a accepté de venir à l’aéro-club pour envisager de me faire passer l’épreuve. Tout reste au conditionnel, c’est la météo qui aura toujours le dernier mot et ces derniers temps, il n’y a guère qu’elle qui parle.

Debout sur le tarmac, les mains sur les hanches, la tête basse et le regard sombre, j’essaie de ne pas penser à l’immense déception qu’un nouvel ajournement me causerait. Je suis presque obsédé par une date anniversaire qui me tient à cœur et obtenir mon brevet de pilote en 2009 est pour moi très important. C’est idiot, peut-être, et cela me met une pression dont je n’ai pas besoin mais, que voulez-vous, c’est important pour moi.

Wilbur Wright en vol devant le Roi Alphonse XIIIEn février 1909, les frères Wright, inventeurs du premier avion sustenté et contrôlé, s’installent à Pau et ouvrent la première école d’aviation de l’histoire en formant trois pilotes. Pour le béarnais, palois d’origine, que je suis, cet anniversaire est déjà important et émouvant mais plus encore, le 7 octobre 1909, les autorités françaises décident de la création du brevet de pilote et attribuent les 16 premiers brevets à de grands noms parmi les pionniers, comme Louis Blériot, Glenn Curtiss, Henri Farman, Alberto Santos-Dumont ou les frères Wright. Obtenir mon brevet de pilote dans l’année centenaire du brevet de ces glorieux anciens est ma façon de leur rendre hommage et de leur dire merci.

HPIM1143Ce brevet met un terme à la première phase de mon instruction. La vie entière d’un pilote étant une instruction de longue haleine, ponctuée de nombreux brevets et qualifications, je veux garder à l’esprit que ce premier brevet ne sera que l’autorisation d’aller un peu plus loin. Il a un goût de Saint Graal, mais il ne l’est en aucune manière. Il n’est guère plus que mon entrée timide dans la grande histoire et la belle famille des merveilleux fous volants.

Le plafond était encore bas au lever du jour mais, visiblement, le ciel s’éclaircit et la visibilité s’améliore. Le soleil fait même quelques timides percées à travers les nuages. Mon rêve est sur le point de devenir réalité et étrangement, c’est à ce moment, ou je devrais mettre toute ma concentration au service de ce vol d’examen, que je m’interroge sur moi-même. Mais d’où me vient donc cette passion dévorante pour tout ce qui vole ?

La légende familiale dit que mes parents sont tombés amoureux à 2886 mètres d’altitude, lors d’une randonnée à l’assaut du Pic du Midi d’Ossau dans les Pyrénées béarnaises. Il est bien hasardeux, voire même scientifiquement hérétique, de penser que les caractéristiques génétiques d’une progéniture puissent être influencées par les conditions extérieures du coup de foudre de leurs parents mais le fait est que je me suis toujours senti mieux en altitude que sur le plancher des vaches. Mes frères et sœurs, même s’ils contrôlent visiblement mieux leurs pulsions que moi, sont soumis à la même étrange fascination pour les pressions réduites et l’altitude, que ce soit par la montagne, l’aviation, le parachutisme ou simplement monter dans un arbre. Quant à notre généalogie proche, mon grand-père paternel fit son service dans l’Aéronautique militaire en 1928, mon père dans l’Armée de l’air en 1956 et ma mère a toujours rêvé d’être une convoyeuse de l’air à l’image de son héroïne d’adolescence, Geneviève de Galard.

M0640_14654_C-47_Ken_Marshall_21091967_1280aJ’en profite là pour faire, en parenthèse, une méchante diatribe contre les adolescents d’aujourd’hui qui rêvent tous d’être Lady Gaga ou de participer à une téléréalité débilitante et nombriliste alors que les jeunes filles de l’époque de ma maman rêvaient de ressembler à une courageuse jeune infirmière de l’Air qui a partagé jusqu’au bout les souffrances des combattants de Dien Bien Phu. Une autre époque.

Tim747Pour ma part, j’ai commencé à voler à l’âge avancé de deux ans. A un âge ou je ne pouvais pas lire ou écrire et pas même parler correctement, je passai de longues heures, loin au-dessus des eaux sombres et froides de l’Atlantique Nord, à courir dans les jupes des hôtesses de l’air. C’est sans doute pour ça que j’apprécie tant les jupes. Ma maman étant une très belle femme, on pourrait en déduire également que mon goût prononcé pour le charme féminin est lui aussi d’origine génétique mais il est absolument indéniable, en revanche, que je fus encouragé dans ces coupables penchants charnels par la vision régulière de ces grandes et splendides hôtesse de l’air que je contemplais en vol et qui mettaient tellement de grâce et de charme à me servir mon Coca.

Ces merveilleuses créatures, portant des ailes d’argent sur leurs gracieuses poitrines, raison évidente de ma passion des ailes d’argent, sont les anges qui prirent soin de moi quand j’eus la mauvaise idée de mettre un coup de nez au plancher lors d’une turbulence ou quand je m’étouffais lentement et sûrement dans l’atmosphère enfumée d’un vol pour Calgary.

Les premières ailes que j’ai portées me furent remises par une hôtesse d’Air Canada et par la suite, je fus intronisé sur chaque vol « membre d’équipage junior » par les hôtesses de CP Air, TWA, British Airways. J’étais, à n’en pas douter un membre d’équipage très insignifiant et très inutile et même parfois pénible mais immensément fier, à tel point que je conserve encore aujourd’hui les précieuses ailes en plastique qui me furent remises à ces occasions.

11080822_10152939844933853_408985059239622587_oL’US Air Force Academy… Non loin de notre domicile d’expatriés en Amérique se trouvait l’école supérieure de formation des officiers de l’US Air Force et mes parents décidèrent, allez savoir pourquoi, de la visiter. Au pied des Rocheuses et au beau milieu du superbe et sauvage Etat du Colorado, l’US Air Force a installé un immense campus universitaire, un complexe sportif de haut niveau et une base aérienne, le tout dominé et symbolisé par la célèbre chapelle des cadets, dont l’architecture et la structure sont inspirées des ailes d’un avion. Cette chapelle, qui accroche immédiatement le regard sur fond de piémont des Rocheuses, possède plusieurs salles de culte et de prière pour chaque religion et dans sa plus grande salle, les deux premiers rangs sont perpétuellement vides et il est interdit de s’y asseoir, même lorsqu’on est visiteur. Ces deux premiers rangs sont pour toujours réservés aux anciens élèves de l’école morts en service. Au milieu de l’université, où l’US Air Force forme ses officiers tout en les éduquant à très haut niveau dans tous les domaines mais avec un pôle d’excellence en sciences physiques et aéronautiques, deux appareils mythiques de l’aviation américaine, un F-15 Eagle et un F-4 Phantom II, trônent fièrement rappelant en permanence aux aspirants officiers le niveau d’excellence que l’on attend d’eux.

Une visite de ce genre, lorsqu’on a cinq ans, est un choc émotionnel dont on ne se remet, pour ainsi dire, jamais et il est également indéniable que cette visite a profondément modifié ma vision du monde, inscrivant dans mes valeurs subconscientes la supériorité des aviateurs sur tout autre forme d’humains et le très haut niveau de compétence de l’aviation militaire américaine.

4341168544_dfdd6534bb_zCette passion me rongea en secret pendant toute mon enfance et mon adolescence, étant sans doute la source principale d’un mal-être qui me suivit longtemps. Ma façon de me soigner ne fit qu’aggraver mon cas. Mon livre de chevet n’était autre que l’une des pires drogues de tous les passionnés d’aviation. « Le Grand Cirque » de Pierre Clostermann raconte avec un réalisme prenant la vie de pilote de chasse qu’a vécu l’auteur pendant la Seconde Guerre Mondiale, au sein de la Royal Air Force britannique. Ce livre est tellement bien écrit que l’on a le sentiment de sentir les odeurs, de ressentir le froid, de vivre la peur avec l’auteur. Le récit de son premier vol à bord le mythique avion anglais Spitfire a fait rêver des générations de jeunes gens. J’ai du lire « Le Grand Cirque » des dizaines de fois, le retrouvant à chaque fois avec plaisir et tombant à chaque fois sous l’emprise de ce récit envoûtant.

Ce ne fut qu’à l’âge adulte que j’entreprenais d’assouvir cette pulsion dévastatrice, par le vol à voile. A 22 ans, je posais ma carcasse dans un planeur, un Grob Twin Astir, remorqué par un Socata Rallye qui me fit décoller de l’Aérodrome d’Oloron-Herrère. Cet aérodrome a peut même davantage de charme et de beauté que le site pourtant grandiose de l’US Air Force Academy. Niché à quelques kilomètres de l’entrée de la Vallée d’Aspe, il permet un spectacle absolument grandiose aux pilotes qui y sont basés. Le planeur a quelque chose de profondément effrayant, par l’absence de source d’énergie, et d’immensément épanouissant, par la pureté du vol qu’il procure. Pour voler en planeur, il ne suffit pas d’être un « bon pilote », il faut comprendre l’atmosphère et les mouvements d’air. Il faut comprendre les enchaînements des phénomènes aérologiques, il faut être très sensible aux différents éléments, y compris le comportement des oiseaux.

A bord de ces planeurs, le Twin Astir et le motoplaneur SF-28, mes yeux ont été marqués de quelques-unes des plus belles images de ma jeune vie d’aviateur. Tel ce jour inoubliable ou, à bord du Twin Astir et au cours d’un vol de plus de deux heures, des vautours sont venus me survoler, à deux mètres au-dessus de ma verrière, profitant de la même ascendance. Pendant quelques minutes irréels, je volais en formation échelonnée avec des vautours pyrénéens, les uns au-dessus des autres, un peu à la manière des patrouilles de voltige comme la Patrouille de France.

Les études m’obligèrent à mettre le planeur en veilleuse après près de 12h de vol. La veille continue toujours aujourd’hui mais je serais à nouveau un jour aux commandes d’un planeur.

DSCN3104Et ce fut l’Armée de l’air…

Les difficultés de mes grands-frères pendant le service militaire m’ayant convaincu qu’il ne fallait pas prendre ça à la légère, lorsque l’échéance de l’appel se précisa, je choisis de prendre les devants. Il n’était viscéralement pas possible pour moi de faire mon service ailleurs que dans l’aviation et j’appris alors qu’il existait une possibilité d’effectuer, de façon certaine, mon service dans l’Armée de l’air. Je devais effectuer une préparation militaire qui m’ouvrirait les portes de l’Ecole des Officiers de Réserve de l’Armée de l’air. Même en cas d’échec, je serais assuré de rester dans l’aviation.

Mon premier contact avec l’Armée de l’air fut l’arrivée sur la gigantesque base d’Evreux, une ancienne base américaine, construite selon les normes et l’état d’esprit américains. De grandes avenues, toutes à angle droit, de grands bâtiments et une zone de vie construite comme un village, autour du restaurant, des divers services, des installations sportives et même une chapelle avec un clocher ! Une ambiance qu’il me semblait déjà connaître tant elle me rappelait les récits du livre « Le Grand Cirque ».

Iphone 1012-2 295A la fin de toute ma formation militaire, un brutal coup de poing d’un officier colla sur ma poitrine le galon d’Aspirant, le premier grade d’officier dans l’Armée de l’air et ce fut le début d’une belle aventure qui se poursuit toujours aujourd’hui. Pendant 13 ans, j’ai porté les ailes dorées sur l’uniforme bleu Louise lors de mes périodes d’officier de réserve et la fierté de porter ces ailes est comme neuve, à chaque fois que j’en ai l’occasion. J’ai même un rapport un peu puéril à mon uniforme et beaucoup pensent que je le portais uniquement pour me faire valoir auprès des autres alors que je le portais surtout par puérile et égoïste fierté de mon bel uniforme d’aviateur. Il symbolise mon appartenance à une courte mais déjà belle histoire, celle d’hommes comme Guynemer, Fonck, Armengaud, Mouchotte, Clostermann, Valin, Forget ou Croci et de femmes comme Bastié, André, De Galard ou la regrettée Caroline Aigle, la première femme pilote de chasse.

Sauvegarde 0313 259L’Armée de l’air m’a offert quelques belles pages de ma vie, avec des rencontres assez exceptionnelles d’officiers d’un grand talent et d’une remarquable intelligence, mais ce sont surtout les avions qui m’ont marqué. Ainsi, lors d’un stage à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence, quelques camarades et moi nous sommes nous assis à quelques mètres du seuil de la piste d’atterrissage lorsque les six avions de la Patrouille de France se posèrent l’un après l’autre, à la nuit tombée après une répétition du baptême des promotions. J’eus également la chance de visiter les entrailles des ravitailleurs KC-135 ou d’assister au démarrage d’un Mirage 2000 dans son alvéole. J’ai fêté mes 25 ans dans un hélicoptère Puma de l’armée suisse au-dessus du lac de Lucerne et j’ai volé dans le fameux Nord 262, dans un TBM 700 ou un Falcon 20, notamment lors d’un visite au Kosovo. J’ai goûté jusqu’au bout,  avec délectation, chaque minute dans cette Armée de l’air exaltante où les avions nous imposent presque religieusement de nous taire pour laisser rugir leurs réacteurs.

Photo d'un Potez 25 du 36ème Groupe Aérien de Reconnaissance, photographié sur le terrain de Pau-Pont Long par mon grand-père, Etienne, météorologue en 1931

Photo d’un Potez 25 du 36ème Groupe Aérien de Reconnaissance, photographié sur le terrain de Pau-Pont Long par mon grand-père, Etienne, météorologue en 1931

Je pourrais encore en raconter sur cette passion dévorante avec, par exemple, ma contribution culturelle, pendant quelques années à une association de merveilleux fous du livre volant qui fait une promotion active de la littérature aéronautique. Je pourrais aussi parler de mon travail à la sûreté aéroportuaire, de ma traduction en anglais d’un livre sur la guerre aérienne ou de ma très courte expérience de Steward, entre Pau et Rome.

Mais je crois que le diagnostic est déjà suffisamment sombre. Je suis condamné et la maladie est incurable. Comme pu le dire Léonard de Vinci, 400 ans avant que cette prédiction ne se réalise : « Une fois que vous aurez goûté au vol, vous marcherez à jamais les yeux tournés vers le ciel, car c’est là que vous êtes allés, et c’est là que toujours vous désirerez ardemment retourner. »

Voilà la terrible mais merveilleuse sentence qui pèse sur ma vie et sur mes rêves et ce, jusqu’à la fin de mes jours. Il me faudra toujours des ailes, il me faudra toujours voler, j’aurais perpétuellement besoin de cet émerveillement et de cette magie. Alors résolument, je dois affronter mon sort et voler. Ce n’est pas un choix ou un caprice, c’est une question de survie.

HR071089C’est avec cette pensée que je reprends lentement mes esprits, sur le tarmac de l’aérodrome d’Arcachon. L’heure approche et j’observe toujours le ciel avec une attention appuyée. Lorsque mon examinateur arrive et que nous étudions la météo, je sens qu’il m’observe avec attention. Il me laisse parler, puis questionne mes connaissances en météorologie. Au bout du briefing météo, il se recule dans sa chaise et me pose la question fatidique : « Donc, est-ce qu’on peut y aller ? » Ma voix est ferme et ne faiblit pas lorsque je réponds par l’affirmative. Le sort en est jeté.

20 mai 022Je grimpe dans le Cessna, un avion que je connais très bien. J’ai quarante-neuf heures de vol dont onze en solo sur ce type d’avion. Je le connais, il sera mon allié. Lorsque je démarre son moteur, je ferme les yeux un instant. J’y suis. Nous sommes le 29 décembre 2009, cent ans après mes glorieux anciens et j’ai le sentiment que chacun d’entre eux me regarde. Ce 29 décembre 2009, j’accomplis une destinée qui vient de loin, je soulage un mal-être qui m’aura beaucoup blessé, je rends hommage à tous ceux qui m’ont fait volontairement ou non aimer l’aviation. Ce 29 décembre 2009, je deviens Pilote…

Pug

A mon grand-père Etienne, météorologue dans l’Armée de l’air en 1931,
A mon grand-oncle Léon, officier du génie de l’Air et vétéran de guerre en 1944
A mon père Jean-Pierre, météorologue dans l’Armée de l’air en 1956,
A mon oncle Peter, navigateur sur N2501 Noratlas, en 1971
A mes frères François et Pierre, parachutistes au 6ème RPIMa en 1984 et au 1er RCP en 1986
A mon neveu Thomas, réserviste dans l’Aviation Légère de l’Armée de Terre

qui ont tous porté des ailes sur le coeur

A ma maman Nany, à mes soeurs Corinne, Carole et Laure en mémoire des longues heures de vol au-dessus de l’Atlantique Nord
A mon beau-frère Fred, pilote missionnaire dans les Caraïbes 

A Camille P., qui m’a poussé à réaliser ce rêve en m’offrant l’inscription en Aéro-Club à Noël 2007

A Isidore Szmidt, petit aviateur de coeur 

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