Mivtza Yahalom: Le MiG « James Bond »

Ran Ronen

Le Général de Brigade Aérienne Ran Ronen

16 août 1966

Ca fait trois jours que les deux Mirage IIIC sont en alerte, sur la base aérienne de Ramon dans le sud-ouest d’Israël, sans que les pilotes ne sachent pourquoi. D’un seul coup l’alarme est donnée et les deux pilotes se ruent vers leurs avions. En quelques minutes, côte à côte, les deux Mirage décollent en trombe et prennent rapidement de l’altitude. Le chef de patrouille, le Lieutenant-Colonel Ran Ronen, commandant de l’Escadron 119 « Chauve-Souris », s’attend à une mission en Egypte ou contre l’aviation égyptienne et doit faire répéter le contrôle aérien lorsque celui-ci lui annonce le cap 090, vers la Jordanie. Le contrôle ajoute « pleine puissance, pour interception. »

Quelques secondes après, c’est la voix du Général Mordechai « Motti » Hod, Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air israélienne, en personne que Ronen entend dans ses écouteurs:

mirage3-« Ran, tu vas voir dans quelques minutes quelque chose que tu n’es pas autorisé à abattre. »
-« Bien reçu », répond Ronen, interloqué.
-« Surveille tes 11 heures », ajoute Motti Hod

En termes militaires, l’espace autour de soi est défini comme le cadrant d’une montre et permet de donner rapidement une direction: 12h, c’est droit devant. 6h, c’est droit derrière. 3h, plein droite. 9h, plein gauche. Motti Hod demande donc à Ronen de surveiller l’espace devant lui à gauche.

Au bout de quelques instants, Ronen aperçoit un point noir sur l’horizon. La patrouille tourne vers la gauche pendant que le point noir grossi et devient un objet volant argenté sous leurs yeux. Et justement, ils n’en croient pas leurs yeux.

Le MiG-21F du Capitaine Redfa au Musée de l'IAF à Hatzerim

Le MiG-21F du Capitaine Redfa au Musée de l’IAF à Hatzerim

Ce qui vient la Jordanie et passe la frontière israélienne, c’est un MiG 21 « Fishbed » (code OTAN), l’avion de combat le plus récent dans les aviations arabes, ennemies d’Israël. En pleine guerre froide, l’avion est très méconnu des Occidentaux. Les Mirage Israéliens en ont cependant déjà abattu deux, syriens, le 14 juillet 1966, un mois auparavant et la veille, 16 août 1966.

Evidemment très méfiant, Ronen ordonne à son ailier de se positionner derrière le MiG, à 250 mètres, collimateur allumé sur lui, armes enclenchées, prêt à faire feu. L’avion porte les cocardes irakiennes. Ronen se porte à sa hauteur, par la droite à dix mètres de lui et observe le pilote, mains sur les commandes, prêt à dégager au moindre geste suspect. Les deux pilotes échangent des gestes de la tête. Ronen lève un pouce. L’irakien répond la même chose. Ronen fait signe de le suivre. L’irakien acquiesce et ainsi encadré entre en Israël et va se poser à la base aérienne d’Hatzor, à court de carburant.

Le pilote est le Capitaine Munir Redfa, de l’Armée de l’air irakienne. Au début des années 60, aigri et opposant à la politique irakienne, il avait été repéré par un juif irakien qui contacta le Mossad par le biais de l’ambassade israélienne à Téhéran. Le Capitaine Redfa était un Assyrien, un chrétien d’Irak, dont la progression dans l’armée et dans la société irakienne était entravée par ses origines et qui était brimé par ses chefs qui se méfiait des chrétiens. Révulsé par les opérations qu’il avait du mener contre les Kurdes et admiratif d’Israël, il se montra prêt à faire défection, à condition que sa famille et ses proches soient mis à l’abri. Croyant aller à Paris pour des vacances avec ses deux enfants, sa femme fut abordée par des agents israéliens qui lui remirent des passeports israéliens. Ses parents et plusieurs proches furent exfiltrés vers l’Iran par des peshmergas kurdes et ensuite transférés en Israël. Le Capitaine Redfa reçut également 1 million de dollars, la citoyenneté israélienne et un emploi en Israël. L’Opération Diamant, Mivtza Yahalom, est en marche.

Danny Shapira devant le MiG-21F

Danny Shapira devant le MiG-21F

Le 16 août 1966, il décolle avec son MiG-21F. se fait presque immédiatement accrocher par des chasseurs iraniens mais parvient à leur échapper. Il prend un cap à l’ouest, selon un plan de vol défini avec le Général Motti Hod, qui lui fait survoler le nord de la Jordanie. Les Jordaniens l’accrochent au radar et pensent à un avion syrien, ce que la Syrie confirme, ayant des MiG-21 à l’entraînement dans la région.

Arrivé à Hatzor, il rencontre le fameux pilote d’essai israélien Danny Shapira qui est chargé par Tsahal d’évaluer l’avion, d’en définir les domaines de vol et les limites et d’entraîner les pilotes israéliens à l’affronter. Le Capitaine Redfa fait l’instruction du MiG-21 à Shapira et les deux deviennent des amis. Après quelques jours d’étude au sol, Shapira prend l’air avec le MiG-21 et commence à l’étudier en vol, afin de comprendre ses faiblesses et d’enseigner aux pilotes de Mirage israéliens comment le vaincre. Plus de 120 vols seront menés par Shapira pour permettre aux pilotes israéliens de se familiariser avec la silhouette de l’avion, sous tous ses angles. Ils apprennent aussi que l’avion a de mauvaises performances à haute vitesse et à basse altitude où il perd en manœuvrabilité, que la visibilité des pilotes vers l’arrière est très mauvaise, offrant des angles morts où les israéliens peuvent se dissimuler et aussi que les réservoirs d’ailes sont très vulnérables.

Le MiG-21, visible aujourd’hui au Musée de la Heyl’A Avir à Hatzerim a été numéroté 007, clin d’oeil comique à James Bond pour rappeler les conditions de son « acquisition » et il porte les vives couleurs rouges peintes pour le différencier des MiG-21 ennemis.

Le Colonel et pilote d'essai Danny Shapira

Le Colonel et pilote d’essai Danny Shapira

Quelques mois avant la Guerre des Six Jours, la capture d’un MiG-21 est d’une importance capitale. Au mois de Juin 1967, les pilotes israéliens détruiront 58 avions syriens, égyptiens et jordaniens en vol, pour seulement 10 pertes en une semaine de guerre. Les israéliens seront confrontés au MiG-21 a de nombreuses reprises entre 1967 et 2001, année de la dernière victoire en combat aérien de la Heyl’A Avir, par un hélicopère AH-64 Apache sur un Cessna 152 libanais, près de Netanya. Les derniers MiG-21 abattus par les israéliens seront au nombre de 4, le 11 juin 1982.

Le Capitaine Munir Redfa décèdera en 1998 d’une crise cardiaque.

Le Général de Brigade Aérienne Ran Ronen, as israélien avec 8 victoires en combat aérien, est décédé le 3 décembre 2016 à l’âge de 80 ans.

Le Colonel Danny Shapira est toujours en vie, à 92 ans, et ses deux fils ont suivi ses traces dans l’aviation israélienne.

Pug

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