Le problème Juif

J’ai un problème juif.

Pour être précis, j’ai un problème avec la notion de « Juif ». Et à ce stade de ma réflexion, j’ai tendance à penser qu’une partie des problèmes d’antisémitisme viennent de là ou, en tout cas, s’abritent derrière. Le mot « Juif » utilisé en nom ou en adjectif peut signifier plusieurs choses et cette ambiguïté de signification, chez les esprits faibles, peut mener à l’idée que, derrière ce mot, il y a un loup.

Concrètement, la notion d’Etat Juif représente toute l’ambiguïté. Pour certains, cette notion évoque un Etat religieux basé sur le Judaïsme, donc non-laïc. Pour d’autres, cette notion évoque un Etat qui privilégie l’ethnie juive, donc un apartheid de facto contre ceux qui ne sont pas juifs. Il existe des tas de petites nuances à la notion mais à chaque fois, on va buter sur la signification du mot « Juif ». Et finalement, on peut mener un gros débat sur le sujet, sans se comprendre et, en fait, sans parler le même langage, parce qu’on n’est pas d’accord sur ce que l’on met dans le mot « Juif ».

Juif nomQuand je suis face à un problème de ce genre, j’aime bien retourner à la source, aux définitions et à l’étymologie.

En apparence, le Larousse ne nous aide pas beaucoup. Le nom « Juif » vient du latin « Judaeus » qui signifie « de Judée ». Il désigne, dans l’Antiquité, un habitant du royaume de Juda. Ce à quoi un antisémite nous dira: « Oui mais ça, c’était dans l’Antiquité et un Juif de Paris n’est pas un habitant du Royaume de Juda! » Il désigne également une « personne qui professe la religion judaïque » et une « personne appartenant à la communauté israélite, au peuple juif. » En apparence, on n’a pas beaucoup avancé. Mais en y regardant de plus près, cette définition du Larousse évoque trois appartenances de la notion de « Juif »:
-une appartenance géographique: le mot « Juif » vient de l’appartenance à la Judée et au Royaume de Juda, c’est à dire la région des Monts de Judée qui se situe actuellement en Israël, entre Jérusalem et le désert du Néguev.
-une appartenance religieuse: référence faite à la « religion judaïque »
-une appartenance ethnique: référence faite à la communauté israélite et à la notion de peuple juif.

Avec cette définition, on peut donc dire que Larousse établit qu’il existe un peuple ethnique, provenant d’une région géographique précise (accessoirement, en Israël) et pratiquant une religion intrinsèquement liée à ce peuple et à cette région puisqu’elle est qualifiée de « judaïque ». Ça peut satisfaire et faire sourire les Juifs qui seront contents de ce postulat mais hélas, ça satisfera aussi l’antisémite qui y verra une confirmation de l’ambiguïté entre ethnie/religion/Israël.

Juif étymoNe vous en déplaise, je ne suis, pour ma part, pas satisfait. Parce que disposer d’un seul mot pour définir trois choses distinctes, ça ne me convient pas. Alors je vais un peu plus loin.

Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales propose quelques pistes d’étymologie et d’histoire du mot « Juif ». Ce n’est pas très facile à déchiffrer mais on a là quelques exemples du mot utilisé dans de vieux textes, remontant au Xème et XIème siècles pour les plus anciens. On parvient à comprendre que, du latin « Judaeus », on parvient au mot « Juif » en passant par « Judeu », « Juef », « Iuef » ou « Juiu » au féminin.

Dans l’onglet « Lexicographie », on apprend que:

« Le nom hébreu Yehoudim ne se lit pas dans la Bible avant le temps de Jérémie, contemporain de la destruction du 1ertemple; (…) la transcription de ce mot en Ioudaioi, Judaei, judéens ou juifs, prévaudra sur hébreux et israélites » (Weill, Judaïsme,1931, p. 19)

Je vous avoue être un peu surpris par cette affirmation. J’ai cherché le mot « Juif » en français sur le site « La Sainte Bible » ainsi qu’en anglais dans la Bible avec commentaires de Rashi sur Chabad.org. Dans les deux sites, on ne trouve pas le mot « Juif » ou « Jew » dans Jérémie ou les Lamentations de Jérémie. Les premières mentions du mot sont dans le livre d’Esdras et on les retrouve aussi dans Esther et Néhémie. Détail intéressant, dans le livre d’Esther au chapitre 2, les versions françaises parlent d’un « homme juif » appelé Mardochée. Mais sur le site Chabad.org, cela a été traduit par « a Judean man », un homme judéen. Cela semble clairement indiquer que, dans l’esprit des traducteurs français, le mot « Juif » signifie bien « venant de de Juda ou de Judée ».

D’ailleurs, Mardochée est appelé « Judéen » alors qu’il est mentionné qu’il est Benjaminite, de la tribu de Benjamin, un tribu qui avait fait sécession du reste d’Israël et avait formé, avec la tribu du Juda, le Royaume de Juda. Cela confirme quelque peu une affirmation de mon propre oncle, lors d’une réunion biblique, dans laquelle il disait, textes antiques perses à l’appui, qu’après la déportation de Juda à Babylone, le mot « Juif » a fini par désigner tous les israélites, même ceux de la première déportation, sans qu’ils ne viennent tous de Juda.

Je ne sais pas pour vous mais les choses semblent se décanter un peu. « Juif », signifiant « de Juda » et plus tard « de Judée » est une notion géographique. Mais cette notion géographique est restrictive et même parfois fausse. Qualifier de « Juif » donc « de Judée », un israélite de de la tribu d’Aser, dans le nord d’Israël, est faux. C’est une facilité de langage et une fainéantise d’esprit mais c’est un amalgame.

On aborde donc la notion ethnique qui doit être plus précise que cet amalgame facile. Et on a déjà trouvé le mot qui convient, il nous a été soufflé par le Larousse: « appartenant à la communauté israélite ». Le suffixe « -ite » est très répandu dans la Bible pour désigner les membres d’un même peuple. On trouve par exemple les Edomites d’Edom, les Moabites de Moab, les Amalekites d’Amalek, et la Bible elle-même parle des Israélites, donc d’Israël.

Selon la Bible, en Genèse 35, Israël est le nom donné à Jacob par Dieu:

« et Dieu lui dit: Ton nom est Jacob; ton nom ne sera plus appelé Jacob, mais Israël sera ton nom. Et il appela son nom Israël. »

Jacob, fils d’Isaac, petit-fils d’Abraham, engendre 12 fils de 2 épouses et 2 concubines. Ces douze frères donneront chacun leur nom à une tribu. En réalité, il y en a 13. Les fils du n°11, Joseph, formeront deux tribus, Mannassé et Ephraïm. Mais la famille de Levi ne sera pas réellement une tribu puisque les Lévites sont consacrés au service religieux du Tabernacle et n’auront pas de part territoriale au partage de la terre de Canaan entre les autres tribus.

Au cours de leur histoire, les tribus vont graduellement perdre leurs spécificités et être noyées dans les assimilations entre elles, avec d’autres peuples (il leur sera assez reproché dans la Bible de « courir » l’étrangère!) et surtout dans l’unification politique du Royaume d’Israël. Après la destruction du Royaume d’Israël, de sa capitale Samarie et la déportation du peuple en Mésopotamie, on n’entend presque plus parler des différentes tribus d’Israël et celles-ci, en effet, finissent par être qualifiées de « Juifs » alors que ce terme désigne les irréductibles du Royaume de Juda qui résistera plus longtemps aux assauts babyloniens et dont les habitants, notamment par un très fort attachement à la ville de Jérusalem, conserveront leur identité nationale. Mais quoiqu’il en soit, le terme « Juif », qui désigne des habitants de Juda ou plus tard de Judée est trop restrictif et surtout n’est clairement pas une définition ethnique de l’ensemble des descendants de Jacob/Israël. Il convient donc, si on veut parler d’ethnie, de peuple ou de nation, d’utiliser le terme « Israélite ». Evidemment, on ne peut pas, aujourd’hui, utiliser le terme « Israélien » qui définit la citoyenneté de l’Etat d’Israël, ce qui n’est pas du tout automatique pour un Israélite né en France ou au Canada qui n’émigrerait pas en Israël.

IsraéliteMais ce terme « Israélite », en français, à une connotation religieuse. Étrangement, on va parler de « peuple juif », alors qu’on a vu qu’il vaut mieux parler du « peuple israélite », et on va parler du « culte israélite » pour désigner la religion. Dans les rapports officiels avec l’Etat, il est en effet question du culte israélite, des aumôniers israélites aux armées  . La confusion s’installe vite puisque que le Larousse parle de la religion « judaïque », que l’on appelle plus facilement « Judaïsme ». Alors « Culte Israélite » ou « Judaïsme »?

Vous allez me dire que je suis plus royaliste que le roi, puisque cela convient aux membres du clergé de ce culte mais moi, cela ne me convient pas. Et là aussi, cela contribue à l’ambiguïté. « Israélite » est une notion ethnique, comme on l’a vu, et géographique puisqu’elle fait référence à Israël qui est aujourd’hui un Etat. On a donc tout lieu de penser que le culte israélite en France prend ses ordres à Jérusalem ou bien qu’il est réservé, de façon raciste, aux seuls descendants des tribus d’Israël. Dans les deux cas, l’effet provoqué est désastreux. Quand à Judaïsme, cela fait référence à la tribu ou au royaume de Juda donc là aussi ethnique ou géographique.

Jacob/Israël a vécu bien avant l’émergence du culte qui porte son nom. Rien ne relie le personnage d’Israël aux préceptes religieux qui sont apparus au Mont Sinaï près de 500 ans après sa mort si l’on en croit la datation biblique. Jacob/Israël pratiquait des préceptes tirés de la foi de son grand-père Abraham et de son père Isaac. Il ne pratiquait pas la Loi de Moïse, ce serait anachronique de l’affirmer. La seule explication valable pour le mot Israélite appliqué à la religion est la notion ethnique: « religion du peuple d’Israël », ce qui est un peu léger. Quant à Judaïsme, donc issu de Juda, la seule justification plausible réside dans l’importance centrale du Temple, situé à Jérusalem, capitale de Juda mais là aussi, c’est un peu léger.

Mais en fait, il n’existe pas d’autres termes. Pourtant, ce serait bien plus précis et permettrait de lever les ambiguïtés si on parlait, par exemple de « Yawehisme », le culte de Yaweh ou « Mosaïsme » pour définir les préceptes religieux énoncés par Moïse, ou par la main de Moïse pour ceux qui croient en une révélation divine. Cela permettrait de mieux définir la religion et de la séparer de la notion ambigüe de « Juif ».

Ainsi, pour tenter de résumer ma pensée, je pense que le mot « Juif » est une notion fourre-tout pour fainéant d’esprit et qui créé des problèmes. Ces problèmes sont très bien illustrés par le mini débat entre « Français Juifs » et « Juifs de France » qui ne signifie pas forcément la même chose. En fait, utiliser le mot Juif réduit systématiquement la complexité des individus à une notion simpliste et trompeuse. On va parler, pour l’un de « Juif » et pour un autre de français catholique d’origine portugaise, par exemple. Ce simplisme est la porte ouverte aux amalgames.

Il est certes évident que les notions se recoupent. La religion juive est celle, très majoritaire, du peuple juif originaire de Judée et il est illusoire de les séparer complètement. Mais donner des mots plus précis correspondant aux différentes notions permet de couper court aux ambiguïtés sur lesquelles les antisémites font leur beurre.

Mais pour revenir à mes moutons, lorsqu’on parle d’Etat Juif, de quoi parle-t’on? D’un Etat ethnique ou d’un Etat religieux? Eh bien, je crois qu’à la lumière de ces réflexions sémantiques, le terme même d’Etat Juif tombe en désuétude. Israël n’est en aucune manière un Etat religieux. Il n’existe pas de religion d’Etat, il n’y a pas de tribunaux religieux qui jugent des cas civils, les lois religieuses « juives » ne s’appliquent pas à tous les citoyens israéliens et les institutions israéliennes sont entièrement laïques. Donc parler d’Israël comme Etat Juif au sens religieux est une bêtise.

Ne reste donc que la notion ethnique, qui revient à appeler Israël un Etat israélite, ce qui fait sourire. Les antisémites vont être ravis puisqu’ils vont penser que je viens de démontrer qu’Israël est donc un Etat raciste qui ne s’occupe que des Israélites et pratique l’Apartheid envers les autres ethnies.

Mais ils se trompent, comme toujours. Je renvoie mes lecteurs à mon article sur l’Etat d’Israël ou Etat Juif ou j’abordais déjà cette question. Parler d’un Etat Juif au sens d’Etat Israélite évoque simplement qu’il s’agit de l’Etat de la nation israélite, comme la République française est l’Etat de la nation française. Cette nation israélite possède une histoire, une culture et une religion majoritaire, comme la nation française qui est toujours majoritairement catholique.

Et dans les lois fondamentales de cette religion majoritaire chez les Israélites, l’accueil, l’égalité et le bon traitement de l’étranger sont d’une grande importance. Quelques extraits de la Torah qui parlent des étrangers et du traitement qui doit leur être réservé:

 

Exode 12:48: Et si un étranger séjourne chez toi, et veut faire la Pâque à l’Éternel, que tout mâle qui est à lui soit circoncis; et alors il s’approchera pour la faire, et sera comme l’Israélite de naissance; mais aucun incirconcis n’en mangera. Il y aura une même loi pour l’Israélite de naissance et pour l’étranger qui séjourne parmi vous.

Exode 22:21: Tu ne traiteras pas mal et tu n’opprimeras pas l’étranger; car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte.

Lévitique 24:22 Il y aura une même loi pour vous: il en sera de l’étranger comme de l’Israélite de naissance; car moi, je suis l’Éternel, votre Dieu.

Lévitique 19:33 Si quelque étranger séjourne avec toi dans votre pays, vous ne l’opprimerez pas. L’étranger qui séjourne parmi vous sera pour vous comme l’Israélite de naissance, et tu l’aimeras comme toi-même; car vous avez été étrangers dans le pays d’Egypte. Moi, je suis l’Éternel, votre Dieu.

 

Nombres 9 :12 Et si un étranger séjourne chez vous, et veut faire la Pâque à l’Éternel, il la fera ainsi, selon le statut de la Pâque et selon son ordonnance. Il y aura un même statut pour vous, tant pour l’étranger que pour l’Israélite de naissance.
Deutéronome 23 :7 Tu n’auras pas en abomination l’Edomite, car il est ton frère; tu n’auras pas en abomination l’Egyptien, car tu as séjourné comme étranger dans son pays. Les fils qui leur naîtront, à la troisième génération, entreront dans la congrégation de l ‘Eternel.

Deutéronome 27 :19 Maudit qui fait fléchir le jugement de l’étranger, de l’orphelin, et de la veuve! Et tout le peuple dira: Amen!

C’est évident, toute idée d’Apartheid ou de discrimination est totalement contraire aux fondements religieux de la nation israélite et même, si on se penche un peu plus sur ces extraits de textes, on y perçoit de fantastiques notions, incroyablement progressistes et d’une modernité encore non atteinte, même peut-être dans des pays occidentaux. On y voit l’égalité de tous devant le droit, sans discrimination de race, d’ethnie ou de provenance. On y voit que les petits-enfants d’un étranger (la troisième génération) sont considérés automatiquement comme israélites. Et l’on y voit que, si un étranger désire participer aux traditions des israélites, il lui est demandé de se conformer aux exigences de la loi et, à partir de là, il est considéré comme un israélite de naissance. Pour l’époque, c’est révolutionnaire mais même aujourd’hui, cela l’est toujours!
En fait, la Torah dit qu’un étranger qui adopte pleinement les coutumes des israélites et respecte la Loi devient comme un israélite de naissance. C’est la nationalité non par droit du sol ou du sang mais par respect de la Loi.
Imaginez simplement cette idée appliquée de nos jours: on est français avec pleins droits civiques quand on respecte les lois de la République. On ne l’est pas lorsqu’on les trangresse. Perte de nationalité et de ses avantages, dont perte du droit de vote, en cas de condamnation pénale.
Révolutionnaire, je vous dis!

Décidément, un Etat « Juif », ou une école « juive », ou tout ce qui s’appelle « juif », s’ils brandissent des idées comme ça, j’aime beaucoup!
Pug

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