Le chant du cygne de l’Islam ?

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Beaucoup s’inquiètent, dans le monde occidental, de la montée en puissance de l’Etat Islamique en Irak et en Syrie ainsi que de l’influence grandissante de l’Islam dans nos sociétés. En Israël, l’inquiétude porte sur la prochaine reconnaissance unilatérale d’un état palestinien par l’Occident et l’ONU. Après plus d’une décennie de combat, en Afghanistan, en Irak et plusieurs guerres à Gaza où le monde libre semble s’être épuisé et après l’effondrement successif des régimes socialistes nationalistes arabes, rien ne parait pouvoir endiguer la montée en puissance de Islam fondamentaliste politique, même s’il est divisé en plusieurs branches inconciliables. L’Iran chiite possède déjà son régime fondamentaliste politique et la Turquie, membre de l’OTAN, est aux mains d’islamistes modérés sunnites pendant que l’Etat Islamique tente de s’implanter durablement en tant qu’entité étatique. Pour l’Etat Islamique, les choses sont claires. Avant même les Occidentaux, l’ennemi à abattre est l’ensemble des régimes arabes, baasistes ou monarchiques et l’objectif est de réaliser l’union du monde sunnite sous un seul Calife. L’échec politique et économique de tous ces régimes est évidemment le terreau qu’il fallait à cette quête d’un Califat unifié, renouant avec l’héritage direct de Mahomet et des quatre premiers Califes. C’est, pour simplifier, la doctrine même du Salafisme. Cette doctrine, que l’on a voulu combattre depuis 2001, semble en bonne voie pour réussir ses objectifs.

Face à ce succès musulman général, les Occidentaux semblent perdus et donnent déjà des signes de tergiversation. La volonté de négocier avec l’Iran sur son programme nucléaire et la volonté de reconnaître unilatéralement, et sans traité de paix avec d’Israël, un état palestinien montrent que l’Occident se sent placé devant le fait accompli et ne se sent pas d’autre choix que d’accepter des revendications musulmanes, y compris au sein de nos sociétés sur la question de la nourriture halal, la construction de mosquées ou le code vestimentaire, pour « calmer le jeu » avec l’Islam, alors qu’il les refusait jusqu’ici. Malgré l’absence totale de gage tangible de bonne volonté, que ce soit de la part des Iraniens sur le nucléaire ou des Palestiniens sur la paix avec Israël, les Occidentaux s’orientent vers une nouvelle stratégie de simplement donner au monde musulman ce qu’il veut, en comptant sur le fait que, ces revendications satisfaites, il sera possible d’établir une relation apaisée. Selon cette stratégie, il faut donc également envisager d’ici quelque temps, la reconnaissance de facto de l’Etat Islamique et son entrée à l’ONU et dans nos sociétés, l’introduction de jours fériés musulmans, d’un repos hebdomadaire étendu au vendredi ou encore, dans certains quartiers l’appel à la prière en place publique.

Ce scénario, très sombre pour le principe même d’état de droit laïc basé sur les droits naturels de l’homme, pourrait en fait être vu d’une tout autre façon. Et si l’actuelle poussée islamique, qui nous semble irrésistible, était en fait une « sortie désespérée » au sens militaire du terme, un dernier effort avant de lâcher prise, un chant du cygne du monde arabo-musulman ?

Le principal problème du monde arabo-musulman est la fin annoncée du modèle économique pétrolier. Après un siècle de production de pétrole pour fournir de l’énergie au monde entier et qui a fait de plusieurs pays arabes des pays très riches en rentes pétrolières, ce modèle a du plomb dans l’aile. Les réserves ne sont pas inépuisables et l’exploitation des puits de pétrole du Moyen-Orient ne peut devenir que plus onéreuse avec le temps. On parle d’un épuisement annoncé avant la fin de ce nouveau siècle pour les plus optimistes, d’ici 20 ans pour les plus pessimistes. Mais sans attendre cet épuisement, les nouvelles technologies et la recherche permettent aujourd’hui d’envisager une fourniture en pétrole et gaz qui ne dépendra plus des pays arabes ou même de la Russie. Les puits autrefois peu rentables le deviennent et de nouvelles ressources, comme ceux de couches de schistes changent progressivement la donne sur le marché des hydrocarbures. L’Amérique du Nord est déjà bien engagée sur la voie de l’indépendance énergétique, thème lancé par Georges W. Bush qui avait parfaitement compris les avantages économiques et géopolitiques de cette indépendance. De plus, l’obsession occidentale pour le réchauffement climatique a au moins un avantage, celui d’encourager la recherche sur l’après-pétrole et sur un modèle énergétique non-polluant et renouvelable.

Le monde arabo-musulman voit donc avec une inquiétude grandissante ses clients se préparer à aller à la concurrence, pour faire une allégorie économique. Et le monde pétrolier arabe se rend compte qu’en dehors du pétrole, il n’a rien à vendre et n’a donc bientôt plus l’ombre d’un intérêt pour l’Occident et pour les grandes puissances économiques du monde. Ayant négligé ou échoué à profiter de cette manne pétrolière pour développer leurs pays, bâtir un tissu industriel et économique pérenne, les pays arabes sont confrontés à un avenir bien sombre que l’on peut presque résumer à un retour au pastoralisme bédouin du désert et à l’artisanat local. Ces pays, pour beaucoup étaient des zones désertiques avec quelques bédouins et des dromadaires et peu ou prou, c’est ce qui les attend à l’avenir. Un retour quasiment complet à la situation de la fin du XIXème siècle sur fond de villes fantômes désertées appelées Abu Dhabi ou Doha. Et surtout un retour en arrière phénoménal pour l’Islam qui aujourd’hui tient la dragée haute aux grandes puissances mais qui est menacé de redevenir la religion primitive méprisée qu’elle était au XIXème siècle.

Evidemment, les élites en sont les premières conscientes et beaucoup de leurs actions politiques et économiques à l’international visent à enrayer ce déclin brutal qui leur pend au nez. Organiser des évènements internationaux type Coupe du Monde de Football, avec la politique de grands travaux que cela sous-entend, est une façon d’attirer des capitaux, de construire des infrastructures et de développer une structure économique le plus vite possible, avec une échéance à la clé. Le développement des compagnies aériennes de grande qualité, à mi-chemin entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie est une autre façon de tenter de pérenniser leurs pays menacés. Même l’ouverture d’une annexe du Musée du Louvre aux Emirats Arabes Unis peut être vue au travers de ce prisme. Mais plus encore, cette vision des choses permet de comprendre les investissements massifs des monarchies du Golfe dans les économies européennes moribondes. Cette politique de grands investissements à plusieurs niveaux dans les sociétés européennes n’est peut-être pas une volonté prosélyte d’islamisation de nos pays mais une véritable OPA (Offre Publique d’Achat), comme une grande entreprise qui, voyant son modèle économique se tarir, diversifie à grande échelle pour survivre.

Cette crainte d’une disparition économique s’accompagne évidemment de la crainte d’un nouveau déclin politique et sociétal. Alors que l’Islam a toujours été une civilisation conquérante ayant pour but de soumettre le monde à Allah et aux Califes, il a déjà connu, après la prise de Constantinople de 1453, un lent déclin politique et diplomatique le faisant passer d’un grand empire craint et respecté au 15ème et 16ème siècle au statut d’ « homme malade » des grands empires de 1914, ayant perdu une grande partie de son empire sous les assauts des occidentaux et sous les mouvements indépendantistes, notamment balkaniques. Mais quelque soit la forme et l’ethnie qui le brandit, l’Islam conserve perpétuellement son ambition impérialiste et, même sous l’empire Ottoman, les Arabes du Moyen-Orient rêvait d’un grand état arabe allant du Maroc à l’Irak et jusqu’au Yemen. Le panarabisme de Gamal Abdel Nasser ou la fondation de la Ligue Arabe n’avait pas d’autre but que cet impérialisme arabo-musulman. La guerre contre Israël et la fondation de l’Organisation de Libération de la Palestine s’inscrivent également dans cette volonté.

Seulement, personne n’avait envisagé que le modèle socialiste du panarabisme s’effondrerait aussi lamentablement, faisant suite, 20 ans après, à la chute du modèle soviétique dont il était inspiré. La catastrophe économique, culturelle et humaine du socialisme nationaliste arabe a provoqué les mouvements dits du « printemps arabe » et a ouvert la voie à une radicalisation galopante, sur fond de crise identitaire, des Arabes et de l’Islam. Dorénavant, c’est l’Islam, dans sa version originale post-Hégire et des quatre premiers Califes, qui est brandi comme l’étendard qui devra unifier tous les musulmans (et principalement les Arabes). Al Qaeda en était les prémices, l’Etat Islamique en est l’accomplissement, certes au milieu de querelles et de guerres internes aux mouvements islamistes qui ne sont pas sans rappeler les luttes tribales de l’époque des premiers Califes. L’Etat Islamique pourrait fort bien devenir le Radeau de la Méduse d’un monde arabo-musulman en train de couler pour n’avoir pas réussi, ou n’avoir pas voulu, à se développer économiquement en s’appuyant sur les ressources pétrolières. Dès lors, il ne faut guère s’étonner de voir se rallier à l’Etat Islamique de plus en plus de musulmans et de personnalités musulmanes, y compris au sein des monarchies du Golfe et il ne faudra pas s’étonner à court ou moyen terme, de voir même des princes arabes et des familles entières faire allégeance à l’Etat Islamique dans l’espoir de s’y garantir un place au soleil.

Quant à la volonté iranienne du nucléaire ou à l’expansion de l’Etat Islamique qui ne semble pas vouloir s’arrêter, elles peuvent bien évidemment s’expliquer par cet effort désespéré d’obtenir tout ce qu’ils veulent avant de n’être plus en mesure économiquement et diplomatiquement d’avoir les bras de leviers nécessaires. L’Iran souhaite très certainement, d’une part se prémunir contre la fin du pétrole en ayant une source d’énergie permettant sa survie et son développement, ce qui est en soi tout à fait sain et souhaitable pour le peuple iranien, mais également sanctuariser stratégiquement son régime de révolution iranienne qui serait sans doute assez brutalement renversé si l’Iran s’appauvrissait brutalement et durablement. L’Etat Islamique, pour sa part, va tenter de créer le grand Califat Sunnite dont rêvent beaucoup de musulmans et également de le sanctuariser, par le jeu diplomatique et politique autour de sa légitimité et de sa reconnaissance et militairement en s’armant au maximum et en faisant régner la terreur autour de lui.

Dans cette optique, la récente offensive diplomatique palestinienne en vue d’une reconnaissance de l’état palestinien prend une toute nouvelle couleur. En effet, il est d’ores et déjà acquis que les palestiniens sont sensibles aux sirènes de l’Etat Islamique. L’attentat contre le centre culturel français  de Gaza a été revendiqué par un groupe s’affiliant à l’Etat Islamique à Gaza et, dans les territoires disputés ainsi qu’en Israël même, de plus en plus d’arabes, palestiniens et israéliens, affichent leur allégeance à l’Etat Islamique. Avec l’inefficacité de l’Autorité Palestinienne et l’affaiblissement du Hamas après l’opération Bordure Protectrice de l’été 2014, il faut craindre un ralliement massif de la rue palestinienne, voire même un ralliement officiel du Hamas, abandonné depuis la chute des Frères Musulmans et Egypte, à l’Etat Islamique qui leur semblera dans de meilleures dispositions pour affronter et vaincre Israël.

La reconnaissance précoce et non négociée avec Israël d’un état palestinien pourrait donc s’avérer être le meilleur cadeau que la communauté internationale pourrait faire à l’Etat Islamique : un état reconnu et siégeant à l’ONU dont ils s’empareraient par volonté du peuple et qui leur permettrait donc d’entrer officiellement dans cette communauté internationale, sans que cette dernière n’ait les moyens de l’en empêcher. A la place du drapeau palestinien, ce serait le drapeau noir de l’Etat Islamique qu’il faudrait hisser au siège des Nations Unies à New York et ce sont des ambassadeurs de l’Etat Islamique qui représenteraient la Palestine, annexée par l’Etat Islamique, dans toutes les capitales du monde, permettant au Califat et par lui à l’influence politique du monde arabo-musulman de survivre après la fin du pétrole.

La balle est donc dans le camp du monde occidental, si ce dernier croit encore à ses propres valeurs. Que ce soit le terrorisme ou l’épreuve de force musulmane pour arriver à ses fins autrement que par la négociation ou que ce soit le chant du cygne d’un monde arabo-musulman aux abois, il apparait que la situation actuelle, aussi tendue qu’elle soit nécessite surtout un sang-froid patient et une fermeté, certes cynique, mais à tout épreuve. Faire preuve de faiblesse face au terrorisme est inadmissible à tous les niveaux et abandonner le combat au moment où l’ennemi est aux abois et jette ses dernières forces dans la bataille relève d’un manque de vision stratégique impardonnable et dont les conséquences peuvent être très lourdes.

Evidemment, la communauté internationale ne pourrait plus se dédouaner de sa responsabilité dans le sort des minorités ethniques et religieuses indigènes nettoyées dans le sang par la fureur d’un Islam vainqueur par KO ou par forfait de l’adversaire ni surtout dans l’atroce guerre, la plus violente et la plus barbare depuis des siècles, entre l’Etat Islamique et Israël dans les montagnes de Judée, dans les rues de Jérusalem et partout ailleurs avec un nombre vertigineux de victimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Avec, dans le pire des scénarios, une nouvelle extermination des Juifs à grande échelle dans le silence abasourdi et honteux du reste du monde.

Pug

4 commentaires

  • Votre analyse se rapproche beaucoup d’un autre blog : http://geopolitique-biblique.blogspot.co.il/
    Génial

  • Remarquable analyse!
    A la fin du modèle économique pétrolier, j’ajouterais une cause plus fondamentale, peut-être, à l’effondrement du monde islamique dans sa configuration actuelle. Tous les totalitarismes – et l’islam politique qui domine la scène aujourd’hui en est un – portent en eux-mêmes le germe de leur disparition. Figés, par définition, sur une vision du monde (vision n’est peut-être pas le terme le plus approprié…), ils sont incapables de s’adapter à un monde qui change et, lorsqu’ils tentent de le faire (cf. la perestroïka soviétique) ils sont rapidement balayés.

  • qui profite cette baisse ? cela expliquera certainement un pan du mystère de cette soudaine chute…
    En fait les usa on fait un accord avec certains… pour des raisons tactiques… Poutine qui doit boire la tasse, l’europe qui doit comprendre qu’elle doit obéir à son allié sur le sujet iranien (menace amicale) et un clin d’oeil au Canada qui en Alberta ( zone d’influence de Harper) doit comprendre qu’il ne peut trahir son voisin dans le scenario so British qui se déroule à Téhéran. Bref baisse passagère… Ne rêvons pas trop à la fin des arabo-musulmans… ils sont un puissant levier dans la stratégie pro-islam de washingston… Les mois à venir dirons si j’ai tord. Les gros producteurs se diversifient et mettent leurs billes dans les économies occidentales pour nous tenir par là où ça ferait mal de les couler…
    On a beau être pro usa et occidentaux jusqu’à la racine , il ne faut pas trop regarder nos désirs dans chaque vaguelette du baril… L’islam a de beaux jours devant lui, tel est l’agenda ( caché pour qui ?) de washington… mais cette discretion devrait nous interpeller … 300 millions d’américains qui ignorent et ne veulent pas savoir ce qui se trame… avec l’aide de la désinfo massive…ça permet de faire son autocrate et de s’engager à fond dans le cher plan Brezinski, qui n’est pas mort ( le plan et l’auteur)…
    ce plan veut :
    une population mondiale servile,
    une instrumentalisation du milliard de musulmans contre la Chine ( et la Russie)…
    et une victoire finale sur les britishs qui traîne depuis qq siècles…
    L’ Empire est en marche…
    je me trompe ?

    • Vous fantasmez surtout.

      7 milliards d’êtres humains « serviles », un autre milliard « instrumentalisé », sans oublier bien sûr l’Empire et bla bla bla… On a même droit à cette vieille chouette (87 printemps) de Brzezinski qui serait toujours « vivant »… CQFD !

      On connait ce discours grotesque et ses revendeurs.

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