Gernika, 26 avril 1937

26 avril 1937, il est 16h30 à Gernika, orthographe basque du nom de Guernica, la capitale spirituelle du Pays Basque et symbole de l’identité basque. C’est jour de marché. Depuis plusieurs minutes, on peut entendre les vrombissement de nombreux moteurs d’avions au-dessus de la ville. Ces avions portent la cocarde noire sur les ailes et, sur la dérive la croix noire sur fond blanc de l’aviation nationaliste espagnole. Mais les avions sont allemands et italiens, pilotés par des pilotes de la Luftwaffe et de l’Aeronautica Militare. Et ils s’apprêtent à montrer au reste du monde ce que l’Europe va vivre dans les années qui suivent.

En pleine guerre d’Espagne, les troupes nationalistes de Franco s’en prennent aux séparatistes basques qui se sont joints aux forces républicaines. Désireux de frapper fort, tant pour porter un coup fatal à la résistance républicaine que pour étouffer les résurgences régionalistes, au nom du credo franquiste « España, Una, Grande, Libre », la Legion Condor allemande et l’Aviazione Legionaria italienne, alliées des nationalistes du Général Fransisco Franco effectue un bombardement massif de la zone de Guernica, la capitale spirituelle et traditionnelle du pays basque. A 17h30, les bombes commencent à tomber et des rafales de mitrailleuses pilonnent les rues et les bâtiments.

4 escadrilles de Junkers Ju-52, l’escadrille expérimentale de bombardement équipées de Dornier Do-17 et Heinkel He 111, une formation de Savoia-Marchetti SM.81, escortés par une vingtaine de chasseurs Heinkel He 51, Messerschmitt Bf 109 et Fiat CR-32 pilonnent la ville avec 60 tonnes de bombes, dont un certain nombre d’engins incendiaires, sous les ordres d’un homme froid et cruel, le Général Wolfram Von Richtofen, cousin des deux fameux As de la Grande Guerre, Lothar Von Richtofen et surtout Manfred Von Richtofen, le célèbre Baron Rouge.

Lorsque les avions aux marquages noirs disparaissent du ciel, vers 18h, Guernica est en flammes et le feu atteint les trois quarts de la ville malgré les efforts des « bomberos », les pompiers, de Bilbao qui arrivent sur les lieux trois heures après la fin de l’attaque.
Au matin, la ville n’est plus qu’un immense tas de ruines embrasées et devient rapidement synonyme, de par le monde, de la barbarie et de la cruauté de ses assaillants, les aviateurs « mercenaires » allemands de la tristement célèbre Legion Condor, dont l’évocation demeure aujourd’hui encore en Espagne un exercice risqué. Dans sa colère, Pablo Picasso peindra l’un de ses plus célèbres tableaux illustrant le martyr de la cité basque.

C’est la première fois dans l’histoire qu’une ville est délibérément attaquée et presque entièrement rasée par un raid aérien employant plusieurs types de munitions destructrices. C’est également la première fois que les théories stratégiques de puissance aérienne, apparues une décennie plus tôt avec l’italien Giulio Douhet ou les américains Mitchell et Sherman, sont mises en pratique. De par cette « première », Guernica préfigure clairement la guerre aérienne qui frappera le reste de l’Europe quelques années plus tard, avec le B-17 comme emblème incontournable.

Mais, le terme délibérément est sujet à discussion, autant chez les politiciens que les historiens. Dès après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, notamment dans un ouvrage du général allemand Adolf Galland, l’idée que le bombardement de Guernica n’était qu’une erreur de visée ou un accident de tir fait son apparition. Il faut également souligner que cette attaque n’a pas du tout été assumée par le camp franquiste, dont la propagande, jusqu’à la mort de Franco, continuait d’affirmer que les républicains basques étaient à l’origine de ce qu’ils qualifiaient « d’incendie de Guernica ». Régulièrement, au gré de joutes idéologiques, le déroulement des faits et les responsabilités du drame de Guernica sont remises en cause ou nuancées. Crime ou accident ?

L’un des meilleurs livres sur le sujet, « Les dernières heures de Guernica » est éloquent sur le sujet. La simple lecture des faits semble ne laisser guère de doute : le pont de Rentería, désigné sur les ordres de mission comme objectif principal, n’est pas traité avec l’habituel souci de l’efficacité, chère aux chefs allemands. Ainsi des Ju 52 et des He 111 à haute altitude et à la précision aléatoire sont chargés de cette mission alors que les Stukas ont déjà été employés avec succès sur des cibles plus réduites et plus difficiles d’accès. De même, des équipages très spécialisés, capables de parachuter des vivres dans une cour de 50 m2 au profit des nationalistes, commettent à Guernica de prétendues « erreurs de visée » de plusieurs centaines de mètres, alors qu’ils ne sont gênés ni par le relief, ni par les défenses antiaériennes d’ailleurs inexistantes. Le bombardement de Guernica serait-il donc une erreur due aux facteurs combinés d’une fatigue intellectuelle passagère des planificateurs et d’un ponctuel laxisme en mission des équipages, ou alors serait-il le fruit d’ordres oraux et de consignes discrètes soit de chefs locaux zélés, soit d’une hiérarchie politique supérieure ? Il faudrait, pour en avoir le coeur net, remonter le temps et écouter la conversation entre Von Richtofen et le chef d’Etat-Major du Général Franco mais cette simple conversation, quelques jours avant le bombardement laisse à penser que, comme souvent avec les dictateurs fascistes on nazis, Franco a sous-entendu qu’il fallait traiter Guernica, ce qui a été traduit en ordres de bataille par son état-major et avidement accueilli par Von Richtofen, trop heureux d’expérimenter les nouvelles idées de la guerre aérienne totale.

Le bilan du bombardement est lui aussi objet de tensions politiques et historiennes. Les autorités basques parlent de 1500 morts, tandis que les historiens récents évoquent plutôt un chiffre d’environ 300 morts directs ainsi que près de 800 blessés auquel il faut rajouter les personnes décédés plus tard dans les hôpitaux de la région et qui se montent à autour de 600 personnes.

Ce jour-là, il y a 80 ans, les forces de l’Axe faisait une répétition grandeur nature pour Varsovie, pour Coventry, pour l’East End de Londres et préfiguraient ce que leur propre population allait vivre à Hambourg, Dresde, Cologne et Berlin.

Il serait bon de ne pas oublier, non plus, Gernika.

Pug

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