Combien de fois va t’on les sacrifier?

Combien de fois va t’on les trahir? Combien de fois va t’on les abandonner? Combien de fois va t’on les sacrifier?

J’ai été un officier du contingent. Un appelé. Un jeune citoyen convoqué dans les armées pour le service national obligatoire, comme la grande majorité des jeunes hommes de ma génération et de celles qui nous ont précédé. J’ai quitté la réserve de l’Armée de l’air avec le grade de Capitaine. Si j’avais eu 38 ans en 1914 plutôt qu’en 2013, date de ma promotion au grade de Capitaine, j’aurais été appelé à commander ma compagnie d’infanterie de réserve, une centaine d’hommes appelés comme moi quelques années auparavant et mobilisé en Juillet 1914. J’aurais même sans doute été l’un des officiers de réserve du 18ème Régiment d’Infanterie, stationné à la Caserne Bernadotte à Pau. Je n’ai jamais été un militaire de carrière. J’étais un appelé, puis un réserviste. Un citoyen-soldat comme c’était la norme en 1914. Alors, je me sens davantage légitime et proche d’eux que les militaires professionnels modernes pour prendre la défense de ceux que le Président de la République veut à nouveau sacrifier.

On nous a envoyés au front en 1914, avec nos pantalons rouge garance et nos képis visibles à des kilomètres, en nous disant que l’infanterie française était la meilleure du monde et que rien ne saurait résister à la puissance d’une offensive française. Mais nos grands chefs n’avaient pas prévu les progrès de l’artillerie et des mitrailleuses. On s’est fait hacher, pulvériser par les obus et les rafales dans des charges inutiles face à un tel déluge de feu et de fer, sur décision de chefs orgueilleux et incompétents nommés par des politiciens gras et véreux. Lorsqu’il a fallu s’enterrer dans les tranchées pour nous protéger, on nous a interdit de créer des tranchées de béton parce que nous ne devions pas nous installer dans la défensive mais toujours attaquer et nous avons passé 4 ans dans la boue jusqu’au genoux. Pendant 4 ans, parce qu’ils ne savaient rien faire d’autre, nos chefs nous ont envoyés mourir par milliers pour gagner 30 mètres que l’on reperdait le soir même.
Nous, nous n’avions pas fait Saint-Cyr ou l’Ecole de Guerre. Nous ne dessinions pas des stratégies sur des cartes dans des uniformes propres et un verre de Cognac à la main. Nous ne décidions pas des intérêts supérieurs de la France en pensant à l’après-guerre pendant que des hommes meurent par centaines avec les gueules cassées à leurs côtés.
Nous, nous avions fait l’Ecole Communale, et certains des études à l’université mais la plupart étaient paysans, bouchers, boulangers, maçons, ouvriers, mineurs, petits commerçants. Nous n’avions jamais vu un Allemand et n’avions pas d’autres préoccupations réelles que nos familles et nos champs. Pourtant, nous étions enserrés dans des uniformes miteux, boueux, sanglants, les pieds abîmés, les doigts mordus par le froid, buvant de l’eau croupie qui nous refilait la diarrhée, dans une puanteur terrible de sang et de mort.
Ces « planqués » nous ont jeté au combat la fleur au fusil en nous disant que ce serait facile. Puis nous ont enterrés vivants dans la terre de France pendant 4 ans. Puis nous trahissaient quand on réussissait pourtant leurs stratégies criminelles. Ils nous ont commandé de nous jeter sur les baïonnettes allemandes, de respirer leur ypérite, de disparaître sous les obus des canons Krupp, de carboniser sous leurs lances-flammes, de nous crasher en plein combat aérien, ou de couler dans nos destroyers torpillés par les U-Boots.
1 500 000 d’entre nous ne sommes pas revenus. Maigre consolation pour tous ces sacrifices, nous avons eu droit à un défilé de victoire, tous les ans, à la date de l’Armistice. Tout ce sang, toutes ces larmes, toutes ces vies détruites, toutes ces vies de veuves et d’orphelins, de blessés, de gazés, de gueules cassées, tout ça pour qu’ils nous trahissent encore 20 ans après et nous renvoient au front sans préparation et parce qu’ils n’ont pas su prendre les bonnes décisions au bon moment.

En 2018, centenaire de notre victoire, le Président de la République estime que la susceptibilité politique d’Angela Merkel et de l’Allemagne vaut mieux que notre sacrifice.

Je suis Capitaine d’appelés, descendant de ceux qui, il y a un siècle, ont tout donné. Et je ne laisserais pas faire. Le 11 novembre 2018, je dépoussièrerais mon uniforme et je le mettrais pour aller sur leur tombe et fêter leur victoire. Puisque mon pays les oublie, moi, je ne les oublierais pas. Parce qu’il y a 100 ans, Macron aurait été à l’Elysée et moi, j’aurais été un cadavre à Verdun.

Moi, je ne les trahirais pas une fois de plus en les oubliant.

Pug

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