Noël, après tout…

Flinck : l’annonce faite aux bergers. 1639

Govert Flinck (1615–1660) : l’annonce faite aux bergers. 1639. Huile sur toile, 160 × 196 cm. Paris, Musée du Louvre.

Quand j’étais petit garçon, que ce soit dans les neiges somptueuses des contreforts des Rocheuses canadiennes et américaines, ou le froid humide de la plaine béarnaise du Gave de Pau, face aux majestueuses Pyrénées, la fin du mois de décembre prenait une ambiance musicale bien particulière. Blotti près de la cheminée avec mes frères et sœurs et mes parents, j’avais l’esprit bercé par les douces mélodies de ce que l’on appelle en Amérique les « Christmas Carols ». On pourrait traduire ce terme par « Carillons de Noel » et effectivement, cela traduirait bien l’ambiance sonore qui a accompagné tous les Noëls de mon enfance. Douces et paisibles, ces mélodies sonnent comme de petits carillons et font immédiatement penser à l’ambiance de Noël, la neige, les traîneaux, les cadeaux et surtout la paix qui semble se poser sur le monde, comme une trêve tacite entre tous les imbéciles qui pourrissent la vie quotidienne le reste de l’année. Ainsi, avec comme toile de fond la barrière infranchissable et hautaines des Rocheuses, j’ai fait sonner ma voix de petit garçon sur des airs comme ceux de « Frosty the Snowman », « Rudolph the Red Nose Reindeer », histoire touchante du reine mal-aimé de l’attelage du Père Noël, ou encore « Jingle Bells » de notoriété mondiale. Quelle douceur que cette période de Noël, bénie des enfants dont les yeux scintillent autant que les guirlandes des sapins et dont les voix tintent mieux que les cloches et clochettes des échoppes polaires du Père Noël. Bénie des parents aussi, d’ailleurs, parce qu’elle est l’époque ou le chantage au cadeau marche le mieux avec les enfants turbulents ! Une période de paix, de beauté, de poésie et de fraternité s’instaure pour un mois sur au moins l’occident chrétien. Noël, indéniablement, reste gravé comme une période de rêve dans les cœurs des enfants devenus grands.

On n’a aujourd’hui aucun mal, il est vrai, à imaginer tout ce que cette ambiance invoque, tant la machine de guerre commerciale opportuniste d’une économie de consommation omniprésente nous abreuve de tous les codes visuels, sonores et gustatifs relatifs à la période de Noël. Pères Noël dans les centres commerciaux ou accrochés à toutes les fenêtres, sapins gigantesques sur les places ou minuscules dans les appartements, guirlandes lumineuses dans toutes les rues, cadeaux et paquets partout, promotions, opérations spéciales, remises exceptionnelles, livraisons gratuites à domicile, facilités de paiement sans frais, j’en passe et sans doute des meilleures ! Pas de doute, c’est bien Noël, une période ou même les vautours et les hyènes du commerce de masse semblent devenir humains, presque sympathiques.

Devenu grand aujourd’hui, je m’aperçois que cela fait plusieurs années que je cours derrière l’esprit de Noël, cet esprit qui m’enchantait tellement étant enfant et qui semble s’évaporer au fur et à mesure que les années s’accumulent sur moi. On me dit que c’est une fatalité, qu’il était temps que j’arrête de croire au Père Noël, qu’il faut remettre les pieds sur terre, que ça reviendra un peu quand j’aurais des enfants, que je prendrais plaisir à « personnifier » le Père Noël dans les yeux de mes enfants. Mouais… Je reste perplexe. J’ai quinze et bientôt seize neveux et nièces et cela fait pas loin de vingt ans que je vois des enfants et des cadeaux partout, chaque matin de Noël.

Au fond, je sais ce qui me manque à Noël. Je sais ce qui, dans mon enfance, rendait ce moment merveilleux et qui disparaît aujourd’hui. C’est l’un des rares avantages de l’adulte sur l’enfant, l’adulte analyse, réfléchit et comprend. Du moins en a-t-il théoriquement la capacité…

Quand j’étais un petit garçon, il y a un récit que mon papa et ma maman racontaient à tous les Noëls, et pas seulement à Noël d’ailleurs. Mais Noël, au milieu de tous le fatras commercial et de la fête du Papa Noël, était le moment privilégié délibérément choisi par mes parents pour raconter cette histoire. Cette histoire, que je conserve précieusement dans mon cœur comme un vieux parchemin portant la carte d’une cité merveilleuse, je vous la livre, telle qu’elle existe dans un vieux livre un peu oublié :

L'adoration des bergers, atelier de Rembrandt, 1647

L’adoration des bergers, atelier de Rembrandt, 1647

« En ce temps–là parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville.

Joseph aussi monta de la Galilée, de la ville de Nazareth, pour se rendre en Judée, dans la ville de David, appelée Bethlehem, parce qu’il était de la maison et de la famille de David, afin de se faire inscrire avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte.

Pendant qu’ils étaient là, le temps où Marie devait accoucher arriva, et elle enfanta son fils premier–né. Elle l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie.

Il y avait, dans cette même contrée, des bergers qui passaient dans les champs les veilles de la nuit pour garder leurs troupeaux. Et voici, un ange du Seigneur leur apparut, et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux. Ils furent saisis d’une grande frayeur. Mais l’ange leur dit : Ne craignez point ; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie: c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez: vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche.

Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, louant Dieu et disant: Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée !

Lorsque les anges les eurent quittés pour retourner au ciel, les bergers se dirent les uns aux autres : Allons jusqu’à Bethlehem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. Ils y allèrent en hâte, et ils trouvèrent Marie et Joseph, et le petit enfant couché dans la crèche. Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.

Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers. Marie gardait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. Et les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, et qui était conforme à ce qui leur avait été annoncé. »

Je perçois déjà les sourires narquois ou gênés à la lecture de ce texte issu, je l’avoue volontiers, de la Bible.

bibleTiré du livre à la fois le plus aimé et le plus haï, le plus imprimé et le plus détruit, le plus propagé et le plus interdit de l’histoire, voici donc le récit de la naissance de Jésus, le Christ. D’une admirable simplicité, le récit fait mouche dans l’esprit de quiconque possède un minimum d’imagination. C’est sans doute pour cela qu’il est très aimé des enfants, moins des adultes et carrément pas des intellectuels !

Bethlehem, petite ville au sud de Jérusalem, en Judée sous protectorat romain, accueillant un couple d’anonymes, venus dans la juridiction dont ils dépendent pour être anonymement recensés et comptabilisés. On imagine ensuite aisément la scène. Venant de Nazareth et après un long voyage, le couple cherche un toit pour la nuit. Toutes les auberges étaient-elles pleines, en cette période de recensement, ou bien ont-ils été victimes de l’idiotie humaine, les galiléens étant méprisés du reste des israélites ? Tout ce que l’on sait, c’est qu’il n’y avait pas de place pour eux. Marie, enceinte et fatiguée du voyage, ne tarde pas à ressentir des contractions. Il faut faire vite, et c’est sans doute avec l’œil sombre et la dent serrée que Joseph accepte en dernier ressort d’installer sa jeune épouse en travail dans une étable ou une bergerie qu’une bonne âme aura accepté de prêter.

Lorsque le travail prend fin et que Marie prend son nouveau-né dans ses bras, le monde a changé d’aspect. Alors que Joseph et elle le lavent, l’enveloppent dans une étoffe et le couchent dans une mangeoire à bestiaux, à quelque distance de là, le ciel s’embrase du spectacle inédit, exclusif et grandiose (et gratuit, chose assez impensable à Noël !) du grand chœur de l’Armée céleste offrant son plus beau concert pour rendre les honneurs à l’arrivée du Sauveur. Quel spectacle proprement hallucinant que ces légions défilant en rangs serrés devant des bergers médusés et des brebis pas en reste ! Le taux de crise cardiaque parmi les brebis ce soir là a du être colossal ! Et quel concert que les milliers de voix d’anges remplissant la nuit de leur chant puissant. Pensez donc avec quelle force et quelle fierté ces anges, grands guerriers devant l’Eternel ont du chanter leur hommage à leur Chef, entrant en lice pour la dernière bataille, celle pour laquelle, trente ans plus tard, ils piafferont d’impuissance et d’impatience alors que Jésus meurt seul…

Pour l’heure, cependant, Jésus est un nouveau-né, frêle, faible, braillant. Ses cris de bébé ont sans doute aiguillé les bergers vers lui, alors qu’ils cherchaient dans la nuit cette « bonne nouvelle » que les hérauts de Dieu leur avait annoncé. Quel contraste alors… On imagine sans peine le regard de Joseph et de Marie, protecteur, heureux et émerveillé. Ils savent tous deux qui est l’enfant qui vient de naître mais peuvent-ils seulement réaliser ? Sans nul doute, l’arrivée des bergers et leur récit incroyable leur aura rappelé, si besoin en était, que le monde n’était clairement plus le même : « […] aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. »

C’est alors que je m’aperçois, au final, que je suis le seul responsable de la perte de l’esprit de Noël. Depuis combien de temps n’avais-je pas lu ce récit ? Trop longtemps visiblement, puisque je focalisais davantage sur les Pères Noël et les zéros au chiffre d’affaires des marchands du temple et autres requins du marketing (Qui n’a pas son sapin 100% bio dont les aiguilles ne tombent pas ?)

Il n’existe, je crois, qu’un seul remède pour conserver l’esprit de Noël. Comme une vieille recette de cataplasme perdue depuis longtemps, je vous la livre telle que je me la suis administrée cette année.

Lisez encore une fois ce récit, puis asseyez-vous sous un ciel étoilé, loin du bruit et de Jingle Bells. Fermez-les yeux et repensez aux bergers. Laissez infuser. Si vous n’êtes pas trop rouillés, vous ne devriez pas attendre trop longtemps. Soudain, dans le lointain, vous entendez : «… Gloria …» Ca y est, vous y êtes. Ouvrez-les yeux, contemplez les étoiles. C’est votre cœur qui résonne. « …Gloria, In excelsis Deo… »

C’est ça Noël, après tout…

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Pug

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